Lundi 30 octobre, l’association Paris Animaux Zoopolis organisait une conférence intitulée « Vers des spectacles sans animaux à Paris et ailleurs », en partenariat avec la Mairie du deuxième arrondissement de Paris. Cette conférence était l’occasion d’encourager les cirques à supprimer les numéros avec animaux sous leurs chapiteaux, en exposant les raisons éthiques, biologiques et politiques qui devraient les mener à une telle décision.
Si le public était très majoritairement acquis à la cause, l’atmosphère n’en était pas moins tendue, du fait de l’important dispositif de sécurité mis en place devant et dans la salle Jean Dame (une vingtaine d’agents des forces de l’ordre, ainsi que des agents de sécurité et un portique de détection de métaux). Les représentants de cirques avec animaux avaient eu vent de la conférence, et notamment de l’intervention de leurs confrères André-Joseph et Sandrine Bouglione qui ont décidé de se séparer de leurs animaux de cirques. Il n’y a pas eu d’incident, et les organisateurs ont d’ailleurs laissé entrer quelques professionnels du cirque avec animaux, leur octroyant même une dizaine de minutes de temps de parole pour contre-argumenter et nourrir le débat (ce qui n’aurait probablement pas été possible pour les militants de la cause animale dans une réunion entre représentants de cirque).
La mobilisation des vétérinaires
La conférence a débuté avec l’intervention de trois vétérinaires : Dr Vet Monique Bourdin, vétérinaire comportementaliste, Dr Vet Sophie Dol et Dr Vet Sophie Wyseur. En tant que spécialiste des stéréotypies, ou troubles du comportement compulsifs, le docteur Bourdin a expliqué leur caractère anormal, preuve d’une incapacité d’adaptation de l’animal à son environnement. À titre d’exemple, le comportement des éléphants ou des zèbres qui se balancent d’une jambe sur l’autre, ou celui des fauves qui font des allers-retours dans leur cage, ne sont visibles que sur des animaux captifs. Ainsi, même si un facteur génétique peut favoriser l’apparition de cette pathologie, aucun animal porteur du gène déficient à l’état sauvage n’y est sujet. Les causes environnementales sont alors une composante essentielle du déclenchement des stéréotypies : un environnement inadapté, cloisonné, avec une lumière artificielle, un prédateur ou une proie à proximité, la présence d’hormones de stress, des températures inadaptés à leur besoins physiologiques, un transport long et fréquent, un manque ou un excès de contacts sociaux selon les espèces (les tigres sont solitaires, les éléphants très sociaux), et l’ennui. Le stress induit entraîne une baisse de la résistance immunitaire et une hausse du risque de problème cardiaque.
Les numéros des cirques avec animaux représentent également un danger pour les animaux sur le plan médical. Le docteur Dol a rappelé que faire asseoir régulièrement un éléphant sur un tabouret n’est pas seulement contre-nature mais peut également entraîner des étranglements d’organes (hernies) et une pression dangereuse sur les disques vertébraux des animaux. Elle a également exposé les problèmes de santé dont souffre l’éléphante Maya, détenue par le Cirque de la Piste d’Or. Elle présente des lésions mycosiques au niveau des pieds et de la queue, ainsi que des boiteries et des stéréotypies (« Elle danse ! » comme dirait le représentant du cirque avec animaux assis derrière nous).
Les vétérinaires ont rappelé que les animaux sauvages ont le même patrimoine génétique que leurs congénères à l’état sauvage, malgré leur apprivoisement et/ou naissance en captivité, et ont donc les mêmes besoins biologiques.
81% des vétérinaires interrogés contre la présence d’animaux sauvages dans les cirques
Les praticiens de la santé animale se mobilisent pour essayer de faire progresser la cause des animaux sauvages dans les cirques. Après la position claire de la Fédération des Vétérinaires d’Europe (FVE) sur l’impossibilité des cirques itinérants d’offrir des conditions de vie acceptables aux mammifères sauvages, appuyée et rappelée récemment par l’Ordre national des vétérinaires, qui est membre de l’organisation européenne, des vétérinaires français ont décidé d’agir. Dr Sophie Wyseur a présenté une pétition de 55 000 signatures pour faire interdire les numéros avec animaux au Festival International du cirque en Val-de-Loire cette année à Tours. Elle a également mobilisé ses confrères de la région pour écrire une lettre au président de Tours Métropole qui est passé d’une position contre l’interdiction de la présence d’animaux dans le festival à une position de débat où une réflexion sur le sujet sera menée pour la prochaine édition du festival.
De son côté, Dr Sophie Dol a mis en place une consultation nationale auprès de 5 000 vétérinaires français, plus des étudiants des quatre écoles vétérinaires de France, pour connaître leur avis sur la captivité des animaux sauvages. Sur environ 700 réponses de docteurs vétérinaires et 650 réponses d’étudiants vétérinaires, 78,5% se sont positionnés en faveur d’une interdiction de détention des cétacés dans les delphinariums et 81% pour l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques. Ils ont invoqué des raisons telles que le « mal-être », la « souffrance », l’« esclavage », la « domination », les « comportements contre-nature », etc. Ils se positionnent d’ailleurs majoritairement contre les autres pratiques barbares que sont la chasse, la corrida ou la détention de « nouveaux animaux de compagnie ». Des lettres aux ministres de la Transition écologique et solidaire et de l’Agriculture et de l’Alimentation ont également été envoyées, ainsi qu’à la Maire de Paris Anne Hidalgo.
Des politiques s’engagent pour les animaux
Si des vétérinaires s’engagent sur la scène politique, des élus participent également à faire progresser la cause animale. Jacques Boutault, maire du deuxième arrondissement de Paris qui accueillait la conférence, est intervenu pour rappeler que la préoccupation des animaux sauvages dans les cirques n’est pas récente, et que Anne Hidalgo elle-même avait signé « par erreur » une pétition en faveur d’une interdiction en 2011. Quand on demande à Mme Hidalgo de prendre un arrêté interdisant l’utilisation des animaux dans les cirques, elle répond toujours que cela relève de la compétence de la Préfecture de Police. Or, selon Jacques Boutault, rien n’empêche la maire d’en faire la demande à la Préfecture de Police qui n’aurait aucune raison de refuser.
Une « Mission Animaux » mise en place en 2017 par la mairie de Paris suite au débat sur la détention d’animaux dans les cirques a permis de réunir les élus municipaux et les organisations de protection animale pour discuter de thématiques diverses, dont la question des animaux dans les cirques. Un rapport et un plan d’action devrait suivre cette mission dans le premier semestre de 2018. Il semblerait que petit à petit, la mairie se remette en question sur le sujet.
« Voir des animaux en cage est intolérable »
Douchka Markovic, adjointe au maire du dix-huitième arrondissement de Paris
Le maire a également invité Fabienne Roumet, conseillère du treizième arrondissement de Paris et déléguée à la biodiversité et l’agriculture urbaine, et Douchka Markovic, adjointe au maire du dix-huitième arrondissement de Paris, à s’exprimer sur la question. Fabienne Roumet a évoqué la nécessité d’éduquer les enfants au respect du vivant. Elle a aussi fait un aparté sur les zoos qui, comme les cirques, ne sont qu’une « collection d’êtres vivants ». Selon elle, il faut sortir de cette relation de domination avec les animaux et arrêter de les « chosifier ». Douchka Marcovic a quant à elle déclaré qu’il était « intolérable » de voir des animaux en cage. Il faut que des élus qui partagent les idées des organisations de protection animale se mobilisent pour faire interdire les cirques avec animaux sur leur territoire municipal, ainsi que l’offre de places de cirques avec animaux aux habitants. Elle incite également les organisations et militants à éduquer les autres habitants, par des moyens pacifiques, ainsi que les élus locaux en leur envoyant des courriers électroniques avec des informations pertinentes pour les éclairer sur la question. Les mentalités bougent doucement mais il faut accompagner cette évolution.
Le monde du cirque évolue…
Face à ce changement dans les mentalités, et à la peur de se retrouver en véritable difficulté dans le futur, le Cirque Joseph Bouglione a décidé de se séparer de la totalité de ses animaux pour créer un éco-cirque Joseph Bouglione 100 % humain. Les gérants du cirque et anciens dompteurs André-Joseph et Sandrine Bouglione ont décidé d’envoyer leurs animaux en retraite dans un sanctuaire pour créer un grand cirque uniquement composé de numéros avec des humains. Prévu pour 2018, le cirque se revendiquera écologiquement responsable, composé de conteneurs qui seront affrétés majoritairement sur des trains ou des bateaux fluviaux, ou sur camion quand aucune autre solution ne sera possible. La ménagerie sera remplacée par des stands de partenaires et de restauration. Enfin, une partie des bénéfices du cirque servira à la conservation des espèces animales autrefois présentes dans le cirque tels que les lions et les tigres.
… mais certains persistent…
Avant l’intervention d’André-Joseph Bouglione, la parole a été donnée à un représentant de cirques avec animaux pour exposer son point de vue sur le sujet. Amandine Sanvisens de l’association Paris Animaux Zoopolis a tenu ensuite à lui répondre. Face à l’argument que plus aucun animal présent dans les cirques français a été capturé dans la nature, elle rétorque que les éléphants l’ont nécessairement été car ils ne se reproduisent pas en captivité. De plus, tous les animaux descendent d’ancêtres capturés dans leur environnement naturel.
Le ministre de l’Environnement a pris position contre l’utilisation des animaux sauvages pour des spectaclesPour ce qui est des stéréotypies qui seraient dues simplement au fait que « certains animaux sont fous, comme les humains », Amandine Sanvisens répond que tous les animaux des cirques doivent dans ce cas-là être « fous » puisqu’ils présentent tous des troubles compulsifs du comportement. Concernant l’incivilité des militants de la cause animale qui arrachent les affiches des cirques, elle réplique que l’affichage des cirques sur la voie publique est illégal (même si toléré) et que jamais leur association n’encourageait l’arrachage. Si une thèse d’un doctorant vétérinaire de l’École nationale vétérinaire de Maison-Alfort n’a pas montré de problème particulier à la détention des animaux sauvages dans des cirques, la co-fondatrice de Paris Animaux Zoopolis rappelle qu’un doctorant est un étudiant et qu’il n’a alors ni le titre, ni les compétences des docteurs vétérinaires. Elle rappelle également la position de la FVE qui expose « l’impossibilité absolue » pour les animaux sauvages de réaliser leurs « besoins physiologiques, psychologiques et sociaux ». Enfin, concernant le dressage des animaux qui ne se pratiquerait pas avec des objets coercitifs cruels tels que l’ankus ou le fouet, elle déclare que des vidéos tournées et des photos prises récemment attestent de l’utilisation de ces objets dans les cirques français.
… plus pour longtemps !
Philippe Reigné, professeur de droit et co-fondateur de l’association Paris Animaux Zoopolis a conclu la conférence avec une présentation sur les faiblesses des cirques avec animaux en France, en tant que force politique. Selon lui, les cirques avec animaux peuvent difficilement maintenir leur position pour différentes raisons :
- « l’arrêté delphinarium » qui devrait mettre fin à terme à la captivité des cétacés établirait un précédent sur la question de la captivité des animaux sauvages (si le Conseil d’État décide de ne pas l’annuler) ;
- le discours politique des représentants de cirques avec animaux a trop lentement évolué (ils ont tenté de s’approprier la question de la conservation des espèces menacées mais cet argument était déjà utilisé par les zoos avant eux) ;
- le secteur du cirque avec animaux n’a pas d’argument économique fort à la différence de celui de l’élevage qui invoque son rôle dans la croissance économique par exemple ;
- les professionnels des cirques « traditionnels » ont tardé à constituer des organisations capables d’exercer une pression sur les pouvoirs publics (le Collectif des cirques a été créé à l’été 2017 seulement) ;
- pour la première fois, un ministre du gouvernement, Nicolas Hulot, a pris position contre l’utilisation des animaux sauvages dans les spectacles et n’a pas été contredit par le chef du gouvernement ;
- l’interdiction de la présence d’animaux dans les cirques n’entraine pas la suppression de ceux-ci, qui doivent pouvoir s’adapter.
Ainsi, selon Philippe Reigné, une transition plus ou moins longue vers des cirques sans animaux est possible.
La question du placement des animaux en refuge a été abordée pendant la conférence, avec une vidéo expliquant le projet de Tony Verhulst et Sofie Goetghebeur de créer le premier sanctuaire pour éléphants en Europe dans le Limousin. Elephant Haven devrait être en mesure d’accueillir ses premiers rescapés en 2018. Enfin, un diaporama du photographe animalier Laurent Baheux a été projeté pour rappeler, si besoin est, la beauté des espèces présentes dans les cirques français quand elles sont photographiées dans leur environnement naturel.
Conclusion
Cette conférence sous haute sécurité a permis d’exposer tous les arguments en faveur d’une interdiction de l’utilisation des animaux dans les cirques, et ce non seulement devant un public averti, mais également devant quelques représentants de cirques « traditionnels ». Seront-ils sensibles aux discours sur les problèmes biologiques et éthiques que suppose la détention d’animaux sauvages dans leurs établissements ? Si l’on peut douter d’une réponse positive, cela aura au moins permis de leur montrer que les organisations de protection animale sont ouvertes au débat et pacifistes, mais également qu’elles ne se laisseront pas faire et continueront à mener le combat pour la fin de l’utilisation des animaux dans les cirques.
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