Discussion dans le cadre du colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » organisé par la LFDA le 16 novembre 2021 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Louis Schweitzer, président de la LFDA, avec Hugo Clément, journaliste engagé.
© Gabriel Legros
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Louis Schweitzer
Quand on a un animateur comme mon voisin, il n’a pas besoin de modérateur ou d’animateur, donc je lui laisse la parole. Son souhait a été d’engager un dialogue avec ceux qui sont dans la salle, et je le laisse mener ce dialogue à sa guise.
Hugo Clément
Bonjour tout le monde. Merci d’être là. Merci Louis et Laurence pour votre accueil. Je suis très content et très honoré d’être parmi vous. Effectivement, plutôt qu’un monologue qui peut parfois être un peu barbant, je préfère les échanges. Le mieux est qu’on fasse une petite séance de questions-réponses, et puis qu’on discute ensemble. Si vous êtes dans la salle, ou s’il y a des gens qui nous regardent – je crois qu’il y a un live sur YouTube –, je suis prêt à répondre à vos questions. Je crois qu’il y a beaucoup de choses qui ont été dites depuis ce matin sur le fond, le combat, sur le plan juridique, sur le plan du militantisme, des associations… donc je ne vais pas me répéter et je vous écoute.
Question 1
Je vais justement rejoindre ce que vient de dire la personne précédente concernant la chasse. C’est quand même, aujourd’hui, quelque chose d’assez surprenant, une tradition. Quand on voit les résultats des sondages, par exemple sur la grande majorité des Français qui sont opposés à la chasse contre une minorité de personnes qui chassent, je suis très étonnée de voir que les personnes qui ne sont pas favorables à la chasse, donc à la cruauté, donc à la disparition de la biodiversité, soient si peu entendues. Comment est-ce qu’on crée un mouvement qui a autant de poids que le lobby des chasseurs ?
Hugo Clément
C’est une première question ambitieuse ! Ce que je dis, en général, aux gens qui sont sensibles à ces questions et qui sont infiniment plus nombreux que les gens qui chassent, c’est que j’essaye de ne pas mettre tous les chasseurs dans le même panier, et je pense qu’il y a différents types de chasse et de pratiques. Il y a des régions du monde où la chasse est indispensable à la survie de certaines populations, c’est encore une réalité aujourd’hui. Ça n’est pas le cas chez nous, c’est une chasse de loisirs que les gens pratiquent par tradition, pour avoir une forme de lien social, par habitude peut-être, souvent par ennui aussi – car il y a certaines régions où les gens ressentent une certaine forme d’ennui et trouvent la réponse dans cette activité –, mais c’est du loisir. Ça, personne ne le conteste aujourd’hui, même pas Willy Schraen[1]. D’ailleurs, j’étais assez surpris de ne pas le trouver à l’entrée pour la vérification des passes sanitaires dans le cadre de ses nouvelles fonctions de police de proximité… Même Willy Schraen a dit la semaine dernière, je cite : « J’en ai rien à foutre de la régulation. Moi, c’est pour le plaisir ». Il l’a dit lui-même. Donc on peut passer au débat suivant.
Tout ça pour dire que je ne mets pas tous les chasseurs dans le même panier. Je pense qu’il y a certaines pratiques qui ne sont absolument plus justifiables aujourd’hui. On en a parlé juste avant : la chasse en enclos est une aberration. C’est aberrant que ce soit encore autorisé. La chasse sur des animaux d’élevage, ce qui est le cas de neuf faisans ou perdrix sur dix, représente des millions d’animaux.
Souvent, quand on parle de chasse, on a l’impression qu’il n’y a que les sangliers. C’est un peu cette question qui revient dans le débat public. Il faut savoir que ça représente moins de 5 % des animaux tués à la chasse, les sangliers. L’écrasante majorité des animaux qui sont tués à la chasse ne sont pas forcément des animaux qui causent des dégâts sur les cultures, ou qui posent des problèmes.
Il y a certaines formes de chasse qui ne sont plus du tout justifiables aujourd’hui et contre lesquelles le législateur doit agir. Après, il y a d’autres formes de chasse qui vont continuer – il faut être réaliste –, ou en tout cas qui ne s’arrêteront pas tout de suite. Je pense qu’il faut focaliser nos efforts sur les pratiques les plus cruelles et les moins justifiables. Pour cela, pour arriver à obtenir des avancées rapides sur ces questions-là, il faut entrer dans le rapport de force avec le lobby de la chasse. Pourquoi ces pratiques continuent aujourd’hui alors qu’une écrasante majorité des gens y sont opposés ? Parce que c’est un lobby qui est très bien organisé, très puissant, qui a l’oreille des politiques, et surtout, qui compte de nombreuses personnes qui sont prêtes à se mobiliser concrètement sur ces questions-là. À manifester. À écrire à leurs députés. À aller faire pression dans les permanences parlementaires. À aller voir les élus des moindres petits villages et petites villes pour dire « Si tu fais quelque chose contre nous, on votera plus pour toi ». Et c’est cette force d’organisation politique, finalement, qui leur permet de défendre encore certaines pratiques qui sont ultra minoritaires dans l’opinion.
Il faut faire pareil de l’autre côté. Il faut que la grande majorité des Françaises et des Français qui sont sensibles à ces questions-là s’engage dans des associations. Adhérer à des associations peut passer par des dons pour ceux et celles qui en ont les moyens. Ça peut passer également par des relais de leurs actions, participer à leurs actions, que ce soit sur le terrain, sur les réseaux sociaux… Mais il faut soutenir les associations, parce que les seules forces d’opposition au lobby de la chasse aujourd’hui, ce sont les associations. D’ailleurs, toutes les victoires qui sont obtenues, aussi petites soient-elles, et aussi modestes soient-elles, sont obtenues grâce aux associations qui attaquent les arrêtés préfectoraux devant les juridictions. Ce sont les associations qui vont au Conseil d’État pour faire suspendre telle ou telle pratique. Ce sont les associations qui organisent des événements comme aujourd’hui pour mêler politiques et société civile. Les seules forces aujourd’hui en présence qui nous permettent de lutter concrètement, ce sont ces associations.
Mon message est très simple, c’est : adhérez aux associations. Il y en a plein, ça ne coûte en général pas très cher, voire très peu cher, d’adhérer à des associations En plus, on peut déduire cela de ses impôts en grande partie. Pour ceux qui le peuvent, c’est la première chose à faire, car quand vous avez un ministre qui reçoit d’un côté le lobby de la chasse et de l’autre des associations, je peux vous assurer que ça ne va pas être la même chose s’il y a 10 000 adhérents dans l’association ou 5 000, que s’il y en a 200 ou 300 000. On n’écoute pas les gens de la même manière. C’est pourquoi cette question-là est pour moi fondamentale. Autant sur beaucoup d’autres questions qui ont trait à la question animale, comme l’élevage, on peut agir, notamment, par notre consommation (on peut refuser d’acheter certains types de produits), autant sur la chasse, quand on n’est pas chasseur au niveau individuel, c’est compliqué, on ne peut pas faire grand-chose. Au-delà de ne pas chasser, c’est assez compliqué, surtout quand on habite dans la ruralité. On sait que les chasseurs sont souvent des gens qui se croient un peu tout permis dans les villages. Moi, je l’ai vécu. Il y a beaucoup de gens qui le vivent. Il peut être parfois dangereux de décider de s’opposer localement à ces gens-là, et même sans être dangereux, ça peut pourrir la vie de beaucoup de personnes. Ainsi, il faut se regrouper, il faut faire en masse, il faut faire corps, et ça, ça se passe à travers les associations. Il y en a plein qui sont super, notamment la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences. Il y en a plein d’autres. Des nationales comme des locales, qui font un travail formidable. Mon message, c’est cela, et c’est comme ça que ça avancera.
Question 2
Bonjour et merci pour les diverses interventions. Je voulais revenir sur la théorie du lien, qui, je trouve, pourrait être un bon angle d’argumentation. On adhère à une forme de schizophrénie où la cruauté envers les humains est reconnue et pénalisée, sans que ça soit le cas de la cruauté envers les animaux. D’ailleurs, je ne le comprends pas parce que, intrinsèquement, un être humain est doté d’une sensibilité ou ne l’est pas. Je pense que chacun d’entre nous ici, si on voit un animal et qu’on est quelqu’un de sensible, on ne va pas commettre d’acte de cruauté. Je ne comprends pas bien cette dichotomie. Cette théorie du lien est extrêmement intéressante parce qu’elle met vraiment en exergue ces liens qui peuvent exister entre cette cruauté qui est faite aux animaux, et les conséquences que l’on peut trouver au sein des familles. La maltraitance des enfants, les femmes violentées. Au sein de ces familles-là, justement, il y a beaucoup de chasseurs. Je pense que ça pourrait être intéressant, sachant que certains s’en fichent des animaux, de se dire qu’on pourrait peut-être protéger la société de ces personnes qui ne sont pas seulement cruelles avec les animaux. Comme ce dernier est toujours mis en avant, ça peut être un angle d’attaque que de communiquer beaucoup plus sur cette théorie du lien qui pourrait marquer les esprits. Qu’en pensez-vous ?
Hugo Clément
Il y a pas mal d’études, pas spécifiquement sur la question de la chasse, mais sur la question de la maltraitance faite aux animaux, qui ont montré qu’il y avait effectivement une forme de lien entre les personnes qui maltraitent les animaux, et ceux qui seraient plus à même de commettre aussi des actes de violence envers les êtres humains. C’est d’ailleurs dans cette logique là qu’au XVIIIe siècle et même à la fin du XIXe, les lieux de mise à mort des animaux ont été mis au loin des yeux du public. À l’époque, au marché, on tuait le cochon devant tout le monde. On commettait des actes de violence en public. Or, la logique des abattoirs et du fait d’excentrer la mise à mort des animaux, de la cacher, c’était à l’origine non pas seulement une question d’hygiène, mais surtout une question de cacher cette violence exercée sur les animaux. On pensait, à l’époque, qu’être témoin d’un spectacle de violence sur les animaux pouvait enclencher ou favoriser la violence sur des êtres humains.
Mais sans aller jusque-là, parce qu’il n’y a pas d’études vraiment récentes qui montrent le lien entre le fait de chasser et le fait d’être violent, lorsqu’on regarde le chiffre des homicides commis par arme à feu, dans une grande partie des cas, l’arme à feu en question est un fusil de chasse. Ça, c’est une réalité. Dans beaucoup d’homicides commis en France aujourd’hui, les armes qui sont utilisées sont des armes de chasse. Au-delà de la question animale, de la question de la chasse, découle la question de la circulation des armes. Il y a énormément de gens qui possèdent des armes de chasse chez eux, qui ont des armes à disposition, ce qui forcément rend plus facile un passage à l’acte, en tout cas par arme à feu. Ça, ce n’est pas un mystère, ça a été montré notamment dans les cas des violences conjugales où, quand il y a des meurtres par arme à feu, c’est souvent un fusil de chasse. Puis il y a plein d’autres questions qui se posent, mais là, on sort de la question liée aux animaux parce qu’on rentre dans les nuisances liées à la chasse, où les violences liées à la chasse, et qui touchent les êtres humains, mais qui effectivement sont un levier pour essayer de réformer tout ça.
Il y a la question de la propriété aussi. Un terrain en France, de base, est chassable. C’est-à-dire que quand vous avez un terrain dans une zone rurale – évidemment, pas dans une zone urbaine –, si vous ne faites pas la démarche de sortir ce terrain de l’ACCA[2] de la commune, possible une fois tous les cinq ans lors du renouvellement de son agrément, vous ne pouvez pas interdire à des chasseurs de chasser sur votre terrain s’il n’est pas clôturé.
Il y a aussi la question des victimes humaines. Malheureusement, il y a eu des exemples nombreux ces derniers temps avec des non-chasseurs qui sont victimes d’accidents. Je n’aime pas trop appeler ça un accident parce que c’est une manière finalement de rendre la chose pas très grave. Quand les règles de sécurité ne sont pas respectées – ce qui est le cas dans la plupart des accidents de chasse –, on identifie un truc qui bouge et on tire en pensant que c’est un sanglier, avant de réaliser que c’était un promeneur. Et on s’en tire la plupart du temps sans jamais aller en prison. Tandis que si vous roulez ivre en ville, ou sans permis, ou à 85 km/h dans une rue limitée à 50, et que vous écrasez un enfant, c’est aussi un accident. Mais bien que vous n’ayez pas eu l’intention de le tuer, vous serez envoyé en prison directement, sans qu’il y ait de débat. Vous passez devant un juge en comparution immédiate et puis vous allez en prison en attente de votre procès. Il y a donc une vraie tolérance qui est inacceptable aujourd’hui sur ces fameux accidents de chasse.
Le cas de Morgan Keane est quand même assez emblématique. Ce jeune homme, d’une vingtaine d’années, était en train de couper du bois dans son jardin quand il s’est pris une balle. « Je l’ai confondu avec un sanglier » ? Quelques années auparavant, il y a une dame retraitée qui était simplement dans son jardin derrière ses clôtures et qui s’est fait tirer dessus pour avoir été confondue avec une masse sombre. Pourtant, tirer sans identifier la cible est un manquement extrêmement grave aux règles de sécurité basiques. Mais aucune de ces personnes n’est allée en prison, et aucune de ces personnes n’ira en prison.
Il y a donc là une vraie tolérance que je ne m’explique pas, si ce n’est par la puissance du lobby de la chasse et une certaine forme de complaisance pour ces pratiques-là. Mais on s’éloigne effectivement de la question purement animale, du sujet de la chasse. Les deux sont un peu liés, je pense, à un sentiment de toute puissance qui se retrouve sur ce qu’on fait subir aux animaux. « J’ai le droit de faire ça », c’est un argument qui revient souvent, mais qui n’en demeure pas moins léger. Ce n’est pas parce que quelque chose est légal que c’est moral ou éthique. Et la loi évolue en permanence.
Certaines choses étaient légales il y cinquante ans mais ne le sont plus aujourd’hui. S’appuyer sur cet argument de la légalité pour bloquer toute avancée me paraît complètement absurde. Tout ça pour dire que oui, c’est un levier pour faire évoluer ces pratiques-là, mais je pense que la simple question de la biodiversité et de la souffrance animale devrait suffire sans avoir à mobiliser les questions de nuisance pour les humains.
Question 3
Bonjour à tous. Merci d’abord à Laurence Parisot de l’affection qu’elle porte à l’ASPAS. Moi, j’y suis bénévole depuis plus de 40 ans, et j’en suis très fier. Je voudrais apporter un peu d’optimisme, parce que quand j’ai commencé à y travailler, les chasseurs étaient plus de 2,5 millions à peu près, aujourd’hui ils sont à un million, et sans doute moins d’après les vrais chiffres, ce qui signifie qu’on assiste au crépuscule de la chasse. On se demandait pourquoi ils ont autant de pouvoir. En fait, c’est aussi parce qu’ils sont à tous les niveaux du pouvoir : il y en a dans mon village, dans tous les conseils municipaux. Il y a aussi des chasseurs au sommet de l’État, à tous les niveaux du pouvoir. Pour parler de Willy Schraen qui voulait faire la police de la chasse, j’ai appris ce matin que le président de l’Association des maires ruraux de France le refuse. Pourtant, c’est une espèce de rumeur que les chasseurs veulent prétendre d’associer la ruralité à la chasse. Je suis désolé mais les personnes qui ont à se plaindre des chasseurs sont ceux qui vivent à la campagne. Il y a vraiment des idées fausses comme ça à combattre absolument. Merci.
Marie-Bénedicte Desvallon
J’aurais voulu apporter une réponse sur la question des crimes. En 2019, une loi fédérale aux États-Unis a reconnu les actes de cruauté comme un crime contre les animaux. Aujourd’hui, en France, il n’y a pas de crime contre les animaux. L’acte de cruauté demeure un délit. Sur la question de la théorie du lien et de la sensibilité, comme on l’a exposé tout à l’heure, lorsqu’on parle de la sensibilité de l’animal, in fine c’est la sensibilité humaine qui est prise en considération pour apprécier la sanction. On voit bien que s’il s’agit d’un animal de compagnie, les peines et condamnations sont plus importantes dû à l’attachement que l’on porte à son animal. Il a été par ailleurs voté dans la proposition de loi une circonstance aggravante lorsque l’acte est commis devant un enfant. Selon moi, une piste de réflexion serait également de reconnaître les animaux comme des êtres vulnérables tout en faisant de cette vulnérabilité un élément reconnu par le droit pénal et différent du caractère sensible. En tout cas, c’est une piste sur laquelle on pourrait déjà réfléchir.
Quant à la théorie du lien aux États-Unis, il y a aujourd’hui des fichiers qui sont constitués sur des individus qui ont perpétré des actes, des infractions d’actes de maltraitance sur des animaux, pour permettre d’identifier ces individus qui pourraient devenir des maltraitants sur les humains. Donc aux États-Unis, cela existe déjà. Aujourd’hui, la théorie du lien en France commence à faire son chemin, mais trop doucement à mon sens. Encore une fois, la question de cette sensibilité, on la voit dans le prisme de l’humain, alors qu’étonnamment, pour la corrida, vous remarquerez que le fait que des enfants assistent à des actes de corridas ne pose aucun souci, on ne se préoccupe pas de l’impact que cela peut avoir sur le développement cérébral de l’enfant.
Question 4
Bonjour à tous. Je voulais juste apporter plutôt un retour d’expérience. Je suis enseignante stagiaire. Cette année, j’ai des élèves de moyenne section pour lesquels il y a des enseignants qui ont proposé, avant les vacances de la Toussaint, un dessin animé qui s’appelle « loup tendre et loufoque ». Je l’ai trouvé très intéressant car il faisait des liens avec le rôle que l’école peut jouer pour nos enfants, nos élèves, et la sensibilisation à l’environnement, mais aussi aux vivants. Il s’agissait d’une réadaptation du conte du petit chaperon rouge inversé, c’est-à-dire que le petit chaperon était très content de croiser un loup. Il l’a même invitée chez sa grand-mère, et la grand-mère était très heureuse de voir un loup, qui, dans ce conte, était en voie d’extinction. D’un point de vue pédagogique, j’ai trouvé que c’était très intéressant. Je suis personnellement fermement convaincue que tout un chacun peut œuvrer à sensibiliser les plus jeunes, qu’ils soient nos élèves, nos enfants. La littérature de jeunesse semble pouvoir réussir. Quand je vois dans la cour de récréation des élèves de moyenne section prendre des petits escargots et les observer, je trouve ça vraiment touchant. Je pense que comme vous, Hugo Clément, le journaliste, le droit a un rôle à jouer dans notre société pour faire évoluer nos représentations sur le vivant et les animaux, mais aussi les enseignants, notamment avec L214 qui propose aussi des contenus et des mallettes pédagogiques pour sensibiliser les élèves au vivant.
Question 5
Bonjour. J’aimerais savoir si la prise en compte de la question de l’environnement et donc de la cause animale dans vos enquêtes, lorsque vous réalisez vos documentaires, transforme votre manière de faire du journalisme, pour vous et votre équipe de travail ? Vous qui êtes passé par plusieurs médias, est-ce qu’il y a une nouvelle manière de faire du journalisme ?
Hugo Clément
Je ne dirais pas que c’est une nouvelle manière de faire du journalisme. J’essaie juste d’appliquer à ces questions-là, l’environnement et la condition animale, la même manière de travailler que sur mes autres sujets. Pendant longtemps, on ne parlait pas du tout de la cause animale dans les médias. Il n’y avait jamais un reportage qui était fait. Alors, au-delà des documentaires animaliers – qui étaient vraiment sur un angle observationnel, à la limite du divertissement –, dans les reportages d’information, il n’y avait jamais rien sur la question animale. Pendant très longtemps, on ne questionnait jamais la chasse, ni l’élevage intensif, ni aucune autre pratique. C’est assez récent que les médias s’emparent de ces sujets. Je pense que l’information est une des clés de ce combat. Les gens ont besoin de savoir ce qu’il se passe pour réagir, à la fois dans leur manière de consommer, mais aussi dans leur manière de s’engager. Or, si vous ne savez pas ce qu’il se passe, vous ne pouvez pas agir tout simplement. On en parle de plus en plus et c’est très bien, il faut s’en réjouir, mais il faut aussi en faire plus, surtout sur le plan de la pédagogie en expliquant en quoi ça nous touche.
Quand cette question-là est abordée, souvent, on se différencie encore du reste du vivant. On parle de la nature et des animaux comme si on n’en faisait pas partie. Or, on est des animaux, et la nature c’est nous. On est dans la nature, on n’en est pas en dehors. On n’est pas dans une position d’observateur sur quelque chose qui est étranger. On fait partie de la chaîne du vivant, on est une espèce comme une autre, avec un impact un peu plus important, mais on reste une espèce, très jeune, très vulnérable, qui ne sera peut-être plus là, ou en tout cas plus aussi dominante, dans quelques milliers d’années. Je pense que le travail des journalistes passe aussi par ce travail de pédagogie, pour réintégrer l’être humain dans un cadre beaucoup plus large, et parfaire aussi un travail de modestie, et ne pas toujours traiter le sujet à travers l’angle et la vision purement humaine. Alors, évidemment, on ne pourra jamais être dans la peau d’un cochon ou d’un singe, ça n’est pas possible. Sabrina Krief a expliqué exactement la même chose : on ne peut pas analyser les singes avec un regard de singe car on aura toujours un regard d’humain, et donc on aura toujours un biais. Mais il faut expliquer au public qu’on fait partie de ce tout, et ne pas le traiter en disant « alors aujourd’hui on va vous faire un reportage sur la nature », comme si on était en dehors de cette entité-là.
Enfin, cette question du lien et de nous réintégrer dans la chaîne du vivant est fondamentale pour moi. J’essaie toujours de prendre cela en compte dans mes reportages et d’éviter d’avoir un regard uniquement d’observateur, pour essayer de vous intégrer dans le sujet, pour voir comment on peut agir à la fois sur notre environnement, mais aussi sur nous, puisqu’on fait partie de cet environnement-là. Le message que l’on fait passer d’ailleurs dans les COP[3] et qui fonctionne à chaque fois, est « il faut sauver la planète ». Mais la planète n’a pas besoin d’être sauvée. Elle n’est pas en danger la planète. La planète était, est, et sera là après nous. Quand on dit « il faut sauver la planète », en fait, on parle de nous. Il faut sauver la planète telle qu’elle nous permet de vivre actuellement, et telle qu’elle nous permet d’être l’espèce qu’on est aujourd’hui. C’est-à-dire l’espèce ultra dominante, qui n’a aucun prédateur, et qui arrive à relever des défis technologiques incroyables. Ainsi, à travers la lutte contre le changement climatique, mais aussi la préservation de la biodiversité, c’est de nous et de notre sauvegarde dont il s’agit. J’ai fait un reportage récemment sur les plantes et leur disparition. On parle beaucoup des animaux mais la majorité des espèces menacées aujourd’hui dans le monde sont des plantes.
Il y a un chercheur qui prenait une image que j’aime bien utiliser pour parler de la biodiversité, et qui consiste à nous voir comme si on était dans une maison. La biodiversité est cette maison qui est autour de nous. Si vous lui enlevez une brique, il ne va pas se passer grand-chose. Si une espèce disparaît, il ne se passe pas grand-chose. Si vous lui enlevez dix briques, il commence à y avoir des fissures. Si vous enlevez cent briques, la maison tangue. Mais si vous enlevez deux-cents briques, là, la maison vous tombe dessus. Je trouve que cette image nous dit vraiment tout sur la biodiversité.
La disparition des espèces, ça n’est pas simplement triste car elle entraîne la fin, par exemple, des rhinocéros. Même si c’est triste en soi, une espèce, elle, n’est pas un individu qui ressent des sentiments. Elle ne ressent pas la douleur. Une espèce n’a pas non plus d’intérêts propres. Une espèce est une notion abstraite. Une espèce n’est pas une entité morale ni une personne physique. En revanche, cela va avoir des impacts sur nous en tant qu’individus, mais aussi en tant qu’espèce. L’affaiblissement de la biodiversité est encore une autre question que celle de la souffrance animale, parce qu’il y a souvent un conflit, parfois entre ceux qui défendent la biodiversité et ceux qui défendent les animaux, car défendre les espèces ça n’est pas défendre les individus. Au nom de la préservation d’une espèce, on peut justifier la souffrance de certains individus. C’est ce que font par exemple les zoos d’une certaine manière. Ils acceptent de faire souffrir des individus en les enfermant, mais c’est pour préserver une espèce. Donc ça se justifie. C’est ce que font également certains types d’expérimentations aussi. Je pense qu’il faut essayer de relier les deux, et puis avoir conscience qu’on fait partie de cette maison là sans en être supérieur.
Pendant longtemps, j’étais persuadé, comme beaucoup, que notre espèce est supérieure aux autres. Après tout, quelle autre espèce va sur la lune ? Quelle autre espèce est capable d’envoyer des touristes dans l’espace ? Quelle autre espèce sait fabriquer des bombes nucléaires ? Ou quelle autre espèce peut à la fois aller à 10 000 mètres sous l’eau avec un sous-marin, et à 8000 mètres sur le toit du monde ? Ainsi, toutes ces questions provoquent le sentiment d’être supérieur et nous aveugle de par nos prouesses technologiques. Sauf que l’on se met à confondre supériorité et domination. Or, dans la question de nos rapports aux animaux, je trouve que c’est un point fondamental. On est l’espèce dominante aujourd’hui mais on n’est pas supérieurs. Pour citer encore une fois les propos de Sabrina Krief, pourquoi les singes, par exemple, ne font pas des fusées pour aller dans l’espace ? Ça n’est pas parce qu’ils sont plus incompétents que nous ou parce qu’ils sont inférieurs, c’est peut-être juste parce qu’ils n’en ont pas besoin, tout simplement. C’est peut-être juste cela. Qu’est-ce que l’intelligence ? Est-ce qu’être intelligent signifie forcément fabriquer des fusées ? Ou est-ce qu’être intelligent veut dire s’adapter aux changements de son environnement pour faire en sorte que son espèce perdure ? Parce que si c’est ça l’intelligence, on fait plutôt partie des êtres les moins intelligents aujourd’hui. On n’est pas capable de s’adapter aux changements de notre environnement. On est même en train de provoquer ce qui va causer notre perte. Et on est l’une des seules espèces à faire cela. Alors oui, on va dans l’espace, mais on n’est pas capable de mettre fin aux changements climatiques, à l’effondrement de la biodiversité, qui sont les principales menaces qui pèsent sur notre espèce.
Je suis convaincu d’ailleurs que toute cette maltraitance dont on a parlé aujourd’hui, tout ce sadisme, toutes ces choses affreuses que l’homme inflige aux autres animaux, trouvent leur source dans ce sentiment de supériorité. Ce sentiment qui nous fait nous dire « Ça n’est pas grave. Ce ne sont que des animaux. Ça va, ça n’est qu’un chat ». On m’a fait la réflexion récemment pour l’histoire de Marius, un chat enfermé dans un appartement de l’immeuble voisin qui s’était effondré. Il y était enfermé et sa maîtresse ne pouvait plus aller le nourrir. On a donc essayé de mobiliser les pompiers à travers les réseaux sociaux pour qu’ils aillent le chercher. Cette histoire peut prêter à sourire, et notamment à toutes ces personnes qui me répondent que ce n’est qu’un chat, qu’on ne va pas mettre en danger des humains pour sauver un chat. Mais toute cette pensée trouve sa source dans le fait que l’on se différencie des autres espèces, et qu’on estime notre vie avec beaucoup plus de valeur que la vie d’un chat, pour le chat. Je ne dis pas qu’en tant qu’homme la vie d’un chat vaut celle d’un homme, ce que l’on essaie souvent d’ailleurs de caricaturer chez les gens qui défendent les animaux. Personnellement, en tant qu’humain, je privilégierai toujours le fait de porter assistance à un être humain que de porter assistance à un autre animal. Toutes les espèces privilégient leur propre vie et celle de leurs proches par rapport à celles des autres espèces. Encore que ça dépend des humains peut-être… – c’est une blague je vous rassure. Tout ça pour dire que ça n’a pas de sens de reprocher aux défenseurs des animaux de dire « oui mais vous défendez les animaux alors qu’il y a des gens qui meurent dans la rue ». Cet argument n’a aucun rapport. Évidemment que je suis plus touché par le fait qu’un homme meurt dans la rue que par le fait qu’un chien meurt dans la rue parce que je suis un homme, je suis un humain. Mais du point de vue de l’animal, la vie d’une vache est aussi précieuse pour la vache que ma propre vie. Une vache, un chien, un cochon, vont autant fuir la mort, fuir la souffrance, que moi.
L’attachement d’un mammifère à sa progéniture est, selon les études les plus récentes, relativement similaire entre un humain et non humain. N’importe quel mammifère va faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger sa progéniture. Ce sujet est intéressant et on pourrait presque en faire un débat philosophique, finalement. Après tout, il est la source de notre comportement vis-à-vis du reste du vivant, et je dirais même plus, vis-à-vis de tout ce qui n’est pas l’homme occidental aussi. On ne peut pas nier qu’il existe des similitudes entre la manière dont on se comporte vis-à-vis de la faune sauvage, et la manière dont on se comporte vis-à-vis des peuples considérés, sans le dire, comme inférieurs aux nôtres. Beaucoup le pense encore aujourd’hui, expliquant son retour dans la situation politique actuelle de certains pays dont la France fait partie. Certains considèrent encore des peuples comme inférieurs aux autres. Pendant très longtemps, on a justifié la mise en esclavage et l’exploitation absolument abominable de certains hommes par d’autres hommes par le simple fait qu’ils étaient soi-disant inférieurs. Il n’y avait rien de grave puisque que c’était des non-occidentaux que l’on pouvait utiliser à notre guise. D’ailleurs, ce débat était présent dès l’Antiquité chez les philosophes présocratiques.
Faisant encore une divagation, je voudrais vous parler du végétarisme. Certaines personnes y voient un combat de « bobos de centre-ville », à la mode. C’est pas du tout un truc à la mode, le végétarisme. Pythagore était végétarien, et Pythagore défendait le végétarisme au nom de la réincarnation de l’âme d’êtres humains dans potentiellement n’importe quel animal. Il considérait qu’il ne fallait pas manger ou tuer d’autres animaux qui pouvaient potentiellement être votre père ou votre mère réincarnés. C’est encore une autre logique, mais il y avait beaucoup de philosophes présocratiques qui préconisaient le végétarisme, ce qui enclenchait entre eux ce débat de savoir si en tant que grecque on avait le droit d’exploiter l’autre. Dans cet « autre », il n’était pas seulement question des animaux. On mettait les animaux, et tous les autres hommes, y compris les barbares. Ainsi, cet argument présenté par ceux qui défendaient les animaux, et qui consiste à dire qu’on ne peut pas exploiter ou tuer les animaux de manière gratuite, parce qu’ils font partie de l’ensemble du vivant et doivent à ce titre être respectés, était le même que ceux qui disaient qu’on devait se comporter de manière respectueuse avec les barbares, avec les autres hommes.
Question 6
Bonjour, merci à vous. J’aurais aimé savoir si, selon vous, la crise de la Covid a eu un véritable impact sur la prise de conscience de la biodiversité, et la préservation de la faune sauvage ?
Hugo Clément
Très bonne question. Je pense qu’on l’a tous espéré. Je vous avoue que mon confinement fut plus sympathique grâce à ces vidéos d’animaux sauvages que l’on voyait se réapproprier un peu l’espace, en venant d’un peu partout dans le monde. Dès qu’on laisse un peu d’espace à la nature, la puissance de résilience de cet ensemble dans lequel on vit fait qu’il réoccupe cet espace-là. On s’est un peu tous dit « ah il est peut-être en train de se passer quelque chose, et on va peut-être prendre conscience de notre fragilité ». Le Covid-19, selon moi, nous offre avant tout cette leçon-là : nous rendre compte de la fragilité de notre humanité.
Ce qui s’est passé ces deux trois dernières années, était inimaginable il y a encore dix ans. Il y a dix ans, vous auriez dit à Louis, PDG de Renault, que dans quelques années on allait fermer les frontières, qu’on allait renvoyer les gens chez eux, que plus personne n’allait pouvoir aller travailler, que l’on allait clouer les avions au sol, qu’il allait falloir un papier pour circuler dans la rue, qu’il allait falloir se déplacer à moins d’un kilomètre de son domicile, et que le reste du temps il fallait être enfermé… personne ne vous aurait cru. C’était inimaginable. Et on a pris toutes ces décisions inimaginables parce qu’on a été confronté en tant qu’humanité à un danger imminent. C’est-à-dire qu’on l’a senti, contrairement au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité qui, pour beaucoup, sont encore très lointain : on sait que c’est là, que c’est dangereux, mais on a du mal à le sentir dans notre chair. Sauf que là, on a des proches qui sont morts, il y a eu des centaines de milliers de victimes, voire des millions de victimes à travers le monde, on a eu des images des hôpitaux engorgés avec des choses absolument abominables. Et tout ça a fait que l’humanité s’est sentie en danger immédiat, et a accepté de prendre ces mesures radicales qui étaient inenvisageables auparavant. Je pense que tout ça doit nous faire prendre conscience que pour nous, qui pensions être une espèce si forte, si invincible, tout peut s’écrouler. Le Covid nous l’a montré.
On a tenu bon parce que c’est un virus qui n’était pas si méchant que ça. Quand vous regardez les chiffres de mortalité, c’est un virus qui se transmet beaucoup mais qui a un taux de mortalité relativement faible. Mais ce que nous ont dit les scientifiques de l’ONU dans un rapport de l’Ipbes, qui est sorti d’ailleurs au milieu de la pandémie, c’est que le lien entre effondrement de la biodiversité et multiplication des pandémies est très clair. Il est étudié depuis très longtemps. Plus vous détruisez la biodiversité, plus vous détruisez les espaces naturels, les forêts, plus vous avez un risque d’émergence de nouveaux virus dans la population humaine. Plus vous multipliez les élevages intensifs, plus vous avez un risque d’émergence de nouveaux virus, etc. Et les prédictions des scientifiques de l’ONU, qui ne sont pas de dangereux activistes radicaux, c’est à peu près maintenant une pandémie tous les dix ans, similaire à celle de la Covid-19 en termes d’impact, et supérieure en termes de mortalité, si l’on continue à ce rythme à détruire la biodiversité.
Donc pour moi, cette pandémie, si elle a servi à quelque chose, c’est à faire prendre conscience à beaucoup de gens qu’on était fragile, et que le confort de vie dans lequel on était jusqu’à récemment n’était absolument pas garanti pour les années qui viennent. J’espère que c’est cette leçon qu’on en a tiré, et j’espère que l’on va traiter le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité à la hauteur de la menace que cela représente. N’oublions pas que cette menace est bien plus grande que le Covid, bien plus importante en termes d’enjeu pour les réfugiés climatiques des zones qui vont devenir inhabitables, de la multiplication des pandémies, etc. Les impacts vont être infiniment plus importants que la Covid. Donc il faut traiter ces questions-là avec la même ambition, les mêmes moyens. Avant la crise on avait l’impression parfois que c’était compliqué de débloquer des moyens pour le changement climatique. On a vu à cette COP 26 que c’était encore très compliqué de faire signer des gros chèques par les pays du Nord pour aider les pays du Sud à sortir du charbon, par exemple. Pendant le covid-19, on n’a pas compté ce qu’on a dépensé, et tant mieux ! Le « quoi qu’il en coûte », je pense que tout le monde, en tout cas la plupart des gens, était d’accord avec ça, de sortir l’argent nécessaire pour limiter les dégâts et sauver des vies. Mais il faut avoir la même approche pour le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, parce que les dangers sont encore plus grands que ceux qu’on a traversé.
Question 7
Bonjour. On a beaucoup parlé d’animaux sauvages en liberté aujourd’hui, mais les animaux sauvages captifs, notamment dans les parcs animaliers, les zoos, est-ce qu’il y a des sujets autour d’eux ? Parce qu’on a beaucoup parlé des animaux en captivité dans les cirques, dans les parcs aquatiques… mais qu’en est-il aujourd’hui avec les parcs animaliers ? Ils sont à mon sens une aberration, des parcs de loisirs pour humain qui souhaitent aller regarder des animaux qu’on ne voit plus à l’état sauvage, mais qu’on peut voir derrière des barreaux… Pour avoir un peu d’actualité là-dessus, sur les prochains sujets de reportage.
Hugo Clément
Le prochain, pour l’instant, il n’est pas prévu là-dessus. On en a fait un il n’y a vraiment pas longtemps sur les delphinariums, donc on essaie de varier un peu les thèmes. Malheureusement, il y a beaucoup de choses à dire là-dessus, c’est vrai que c’est un sujet très intéressant sur lequel il faut rester un peu au fait. Sur ces questions-là, je pense que ce n’est pas réaliste aujourd’hui de dire qu’on peut fermer du jour au lendemain tous les zoos, et tous les parcs animaliers parce qu’il y a énormément d’animaux qui sont depuis des générations en captivité. Tous ne peuvent pas se réadapter à une vie dans la nature. Certains le peuvent, d’autres non. Ne serait-ce que pour la fermeture des delphinariums, se pose des questions sur ce qu’on va faire de la vingtaine de dauphins qu’on a en France. La solution n’est pas si simple que ça. Alors il y a des associations qui travaillent dessus et qui font un super boulot, mais ce n’est pas si facile.
Ce qu’il faut dire, en tout cas, et c’est une évidence, c’est rappeler l’origine des zoos qui était d’aller capturer des animaux dans la nature pour les enfermer. Or, sur ce point, on a un peu l’impression qu’aujourd’hui les organisations qui les représentent aimeraient un peu faire oublier cette histoire. Concernant les éléphants en captivité, les méthodes de capture d’il y a encore quelques décennies, ça ne se fait plus. On n’a plus le droit, en tout cas en France, de capturer des animaux dans la nature pour les mettre dans des zoos. Si c’est interdit aujourd’hui, il y a encore quelques décennies, quand on voulait aller prélever un éléphanteau, par exemple, on tuait tout le troupeau. Nous avions même un président français qui faisait de la chasse à l’éléphant, et qui était réputé pour ça, Giscard d’Estaing, et qui participait notamment à certaines opérations de prélèvement pour des parcs zoologiques. C’est ça, l’origine des zoos, il faut quand même le rappeler. On se retrouve aujourd’hui avec un problème qui est réel, et qui représente des générations d’animaux qui ont vécu en captivité, et qui ne sont pas adaptées aujourd’hui à la vie dans le milieu naturel. C’est un problème dont héritent les actuels gestionnaires des parcs animaliers, mais c’est quand même les zoos qui ont créé ce problème-là.
Deuxième chose qu’il est important de rappeler, c’est que la grande majorité des animaux actuellement détenus dans les zoos ne sont pas menacés dans la nature. Il y a cette idée reçue qui a été véhiculée par certaines formes de lobby qui voudrait que les missions des parcs zoologiques soient de préserver des espèces menacées. Ils jouent certainement un rôle pour certaines espèces. En revanche, la grande majorité des animaux, en termes de population – je crois que cela tend entre 70 et 80 % des animaux détenus dans les zoos –, ne sont pas des espèces menacées dans la nature, dont les habitants ont été détruits. Ces espèces peuvent vivre aujourd’hui dans le milieu naturel, et ne font pas l’objet de menaces particulières. On parle de la grande majorité des animaux détenus dans les zoos.
Le discours qui consiste à dire qu’ils sont un vecteur de préservation de la biodiversité et que c’est leur principale mission, je pense que c’est un peu un argument marketing. L’industrie zoologique reste une industrie du divertissement dont l’objectif est de gagner de l’argent. Si le fait de gagner de l’argent n’est pas critiquable en soit, le fait de gagner de l’argent sur l’exploitation des êtres vivants l’est un peu plus. C’est une industrie, c’est une économie, ce ne sont pas des associations, bien que certains font des dons ou font des programmes en parallèle de réintroduction de certaines espèces. C’est très bien mais ça reste un système d’exploitation des animaux dans un but lucratif.
Je ne sais pas si c’est très populaire de dire ça, mais je ne suis pas sûr que ce soit aujourd’hui la question prioritaire sur la question du bien-être animal. Pour moi, le premier combat à mener aujourd’hui, non seulement en nombre d’animaux mais aussi en souffrances infligées, c’est celui de l’élevage intensif. Je pense que c’est le combat civilisationnel des prochaines décennies dans nos pays en France et en Europe. Chez nous, c’est trois millions d’animaux par jour qui sont tués. Trois millions par jour d’animaux destinés à la consommation. Pour être allé dans toutes les fermes d’élevage intensif qui existent, le point commun, c’est la souffrance, c’est le fait que ce n’est pas une vie. C’est une torture.
Si, pour moi, il s’agit de la question prioritaire, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre la captivité des animaux sauvages notamment dans les cirques itinérants. Et c’est une bonne chose que cela soit terminé. On parle tout de même de conditions de captivité particulièrement douloureuses pour des animaux qui sont en permanence baladés à droite et à gauche. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas poser la question des parcs zoologiques, à savoir notamment : qu’est-ce qui justifie aujourd’hui de maintenir en captivité des animaux qui peuvent très bien vivre dans leur milieu naturel et qui ne sont pas des espèces menacées ? C’est un débat en tout cas qui mérite d’être poussé.
Question 8
Bonjour. Je souhaite rebondir sur ce que vous avez dit tout à l’heure concernant les associations. Je suis à 100 % d’accord avec vous, mais ce n’est pas si facile. Quand on est une grande association très connue au niveau national, très réputée, c’est peut-être un peu plus facile sur le terrain. Pour des associations un peu moins grosses et un peu moins connues, non seulement ce n’est pas facile, mais c’est même cauchemardesque. Je suis l’ancienne porte-parole de la Sepanso[4] dans les Landes. On s’est battu contre la mairie à Hossegor, cap Breton. On était contre un projet urbanistique avec la Sepanso, qui est connue en Aquitaine, et on a gagné. On a eu gain de cause en référé au tribunal.
Or, le lendemain matin, le maire d’Hossegor est venu chez moi – je suis la seule qui habitait là. Il a mis la photo de ma maison et mon adresse sur Facebook. Il m’a dénoncée, diffamée, n’arrêtait pas de raconter des horreurs sur moi. J’ai reçu 300 commentaires de personnes qui ont mis une cible sur ma tête, qui ont menacé ma vie. Des gens qui ont expliqué qu’ils allaient jeter un cocktail molotov sur ma maison, qu’ils allaient venir brûler ma maison, et si jamais ils me croisaient dans la rue, ils me feraient la peau. C’est violent.
Vous avez parlé de la gendarmerie tout à l’heure, mais Hugo, en province, la gendarmerie, quand vous êtes responsable ou bénévole dans une association et que vous êtes un peu engagé, on vous rit au nez et on ne veut pas prendre votre plainte. C’est dommage que Loïc Dombreval soit parti. La cellule Demeter[5] a été créée pour les agriculteurs. Mais quand est-ce qu’on met en place une cellule en France qui défend les lanceurs d’alerte et les bénévoles qui sont dans les petites associations et qui œuvrent sur le terrain ? C’est eux qui font bouger les lignes tous les jours à leur petit niveau. Je suis adhérente de Sea Shepherd, et dans les Landes, à Cap Breton, je ne mets pas leur t-shirt parce que j’ai peur d’être noyée dans le port. Le problème, c’est que quand vous portez plainte et qu’il faut prendre un avocat, les petites associations, elles, n’en ont pas forcément les moyens. Dernier point, vous allez tomber par terre. Quand vous arrivez au tribunal après avoir harcelé le parquet et après avoir été au bout de quatre renvois, on vous dit « ah, mais il y a une audience relais qui n’a pas été signée, c’est prescrit ! », et on condamne l’association à 800 euros d’amende !
Il y a un travail colossal à faire dans ce pays pour le soutien des associations. On connaît bien la LPO, on connaît bien One Voice, mais il y a plein d’associations, vous en avez parlé tout à l’heure, qui sont un vrai levier sur le terrain, qui font un travail extraordinaire, et qui sont menacées. Moi, maintenant, mes enfants ne veulent plus venir et n’osent même plus rentrer dans ma maison. Pour finir, le maire a entamé à mon encontre une démarche d’expropriation. Le prix à payer est colossal… Vous voyez, aujourd’hui, il y a une urgence absolue si on veut défendre l’environnement, et défendre la biodiversité, à soutenir les bénévoles sur le terrain et les petites associations.
Hugo Clément
Je tombe de ma chaise comme vous l’aviez prédit. Je ne connais pas ce cas particulier donc je ne peux pas m’exprimer là-dessus, mais je me renseignerai sur ce qui s’est passé. S’il y a des avocates ou des avocats dans la salle, peut-être que certains peuvent vous porter assistance pour ce dossier ? J’imagine qu’il y en a. En tout cas, des juristes qui peuvent vous aider. C’est vrai que le prix à payer est souvent lourd, particulièrement au niveau local pour les petites structures. Soit par manque de moyens, soit par pression sur les individus. Ça a été le cas aussi pour une journaliste qui a enquêté sur l’élevage intensif en Bretagne, et qui a retrouvé les roues de sa voiture déboulonnées. On est dans un pays démocratique, on a cette chance là, ça n’empêche pas d’avoir des méthodes qui s’apparentent parfois à des méthodes mafieuses pour intimider les gens qui défendent les animaux ou l’environnement.
Je redis ce que j’ai dit tout à l’heure : j’invite vraiment tous les gens à adhérer non seulement à des associations nationales mais aussi à des associations locales, à des petites structures, parce que le nombre fait la force. Dans votre association, que je ne connais pas mais que je découvrirai avec plaisir, plus vous serez nombreuses et nombreux, et plus vous serez puissants, et plus vous serez protégés. C’est parfois difficile, effectivement, de se battre sur ces sujets-là, surtout quand vous touchez à l’économie locale, à des intérêts financiers, ce que vous avez sûrement dû faire dans votre coin. C’est la seule réponse pour moi, et c’est peut-être insuffisant, je suis désolé de ne pas avoir plus de réponses à vous donner, si ce n’est d’être le plus nombreux possible et de s’entourer aussi de gens qui peuvent sur le terrain juridique, vous assister. Et je sais qu’il y a pas mal d’associations et pas mal d’avocats qui, sur la question de l’environnement et la question animale, acceptent de travailler, peut-être pas gratuitement, même si certains le font, mais en tout cas avec des honoraires qui sont beaucoup plus faibles que ceux qu’ils facturent habituellement. Il y a beaucoup d’avocats qui font cela, je le sais, et c’est tout à leur honneur. Si jamais il y en a dans la salle qui peuvent vous donner un coup de main, je pense que ça peut être bien. Bon courage.
Question 9
M. Clément, le référendum pour les animaux est peu connu de la société civile. Si vous faites un micro trottoir, vous verrez qu’il est peu connu. Pourquoi la communication n’était-elle pas plus soutenue ? Comme vous le dites si bien, le nombre importe.
Hugo Clément
Il est peu connu mais il y a quand même un million de personnes qui ont signé sur le site. Si on prend les adultes, ça fait quand même 3 % de la population française, ça n’est pas rien, même s’il est évident que cela reste insuffisant. C’est insuffisant parce que, comme je le disais tout à l’heure, il y a un déficit de traitement médiatique de ces questions-là. Ce n’est pas nouveau. Ça fait très longtemps que c’est comme ça. Cela s’améliore petit à petit. Le référendum pour les animaux n’a été traité dans aucun grand journal télévisé mais j’essaie d’en parler le plus possible, bien que je n’aie pas la maîtrise de la presse, ce qui ne serait pas très démocratique. On est quand même arrivé à médiatiser toutes ces histoires-là par rapport à toutes les autres initiatives qui étaient menées sur la question, parce qu’on s’y est mis tous ensemble : plus d’une soixantaine d’associations qui ont uni leur force et des acteurs de la société civile, dont Laurence d’ailleurs, dont Louis et des grands patrons comme Xavier Niel, Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjon, etc. En se mettant tous ensemble, on a réussi à peser dans le débat, et peut-être aussi à accélérer le calendrier de la loi qui a été adoptée aujourd’hui à l’Assemblée. La source de cette loi-là, c’est le travail des associations, mais peut-être qu’on a participé à accélérer ce travail législatif, à faire pression sur les décideurs. On peut toujours faire mieux et je pense que dans les années qui viennent, cette question-là va aller en grandissant. Je suis assez optimiste. En tout cas, je pense que dans la société civile la bataille de l’opinion est quasiment gagnée en termes de masse. Maintenant, il reste à gagner la bataille des médias, la bataille des cercles politiques, la bataille des décideurs, et on va la mener.
Question 10
Bonsoir. Vous parlez d’adhésion aux associations. Nous sommes des militants de terrain et ce qui nous choque, c’est que, lorsqu’il y a des manifestations pour dire non à la chasse ou des actions contre les chasses à courre, nous nous retrouvons à très peu de militants. Ce que nous ne comprenons pas, c’est que beaucoup de gens disent non à la chasse, non à la chasse à courre, mais lorsque nous organisons des actions pour montrer que beaucoup de Français disent non à ces pratiques cruelles, il s’avère que nous sommes un tout petit nombre. On entend des moqueries qui disent de nous que nous ne sommes pas représentatifs. Or, le problème est là pour moi. Je voulais faire passer ce message en disant qu’en théorie, on peut aussi venir grossir les rangs d’une manifestation ou d’une marche. Ça peut être sympathique. Pour vous donner un exemple, la marche contre la chasse qui a eu lieu à Paris la dernière fois a réuni très peu de français, ce qui est embêtant. Quand on voit le nombre de chasseurs qui se réunissent lors d’une manifestation et le nombre d’opposants, il y a vraiment une différence flagrante. Nous voudrions être aidés par d’autres personnes.
Hugo Clément
C’est une bonne question. Il y a un trait du comportement humain assez partagé sur toutes ces questions, qui est qu’on se mobilise plus pour défendre quelque chose qu’on ne veut pas perdre, que pour une cause un peu plus généraliste qui ne nous concerne pas directement. Ça, c’est le cas pour un peu tous les sujets. Il y aura toujours plus de monde pour manifester contre la réforme des retraites par exemple, que pour la réforme des retraites. Le fait de défendre quelque chose qu’on fait ou qu’on a et qu’on estime menacé est toujours plus mobilisateur qu’une manifestation pour une cause plus généraliste qui nous touche indirectement. Ce qui n’empêche pas que vous aillez raison.
Il y a aussi le fait, par ailleurs, que la manifestation n’est pas le mode d’action unique. Pas mal de gens estiment que ça ne sert pas à grand-chose de manifester et qu’il y a d’autres manières de faire. Ils peuvent d’ailleurs sur certains aspects avoir raison. Ils préfèrent donc être actifs au niveau politique, au niveau juridique, etc. N’oublions pas non plus que ça peut faire peur de manifester sur le terrain contre une chasse à courre. En tant que journaliste, j’ai participé à des chasses à courre. Ça n’est pas évident, il faut être courageux d’aller en forêt comme le fait AVA[6] ou d’autres associations, le week-end, pour s’opposer à la chasse à courre. Ils se retrouvent devant les chevaux à courir dans les bois toute une journée. Évidemment, il y a peu de gens qui sont prêts à faire ça, ce qui ne veut pas dire qu’il y a peu de gens qui sont d’accords avec le combat. Ça veut simplement dire qu’il y a un fossé entre « je suis d’accord » et « je vais dans la forêt toute la journée lutter contre les chasseurs à courre ». Ça peut faire peur, à raison d’ailleurs, parce que quand on voit qu’il y a des tensions, des bagarres, des gens qui se retrouvent blessés, on ne peut pas s’attendre à ce que la majorité des gens qui sont sensibles à cette question-là soit présente. On ne peut pas demander à des familles de venir passer une journée en forêt, s’opposer à la chasse à courre.
Ça ne veut pas dire que ces familles-là ne vont pas aller signer des pétitions. Or, on voit que c’est efficace. On voit que ça marche les pétitions. Souvent on nous dit que les pétitions ne servent à rien. Ce n’est pas vrai ! Une pétition qui récolte beaucoup de signatures, fait avancer certaines choses. Ça ne veut pas dire que ces familles ne vont pas adhérer à des associations ou ne vont pas écrire à leurs députés. Ça ne veut pas dire que ces familles ne vont pas voter pour un candidat qui défend des mesures sur ces questions-là. Je pense que tous les modes d’action se complètent.
Évidemment, plus il y a de monde dans les manifestations pour la cause animale, mieux c’est, mais je ne suis pas persuadé que les changements majeurs passeront par ce mode de mobilisation-là. Je pense que, justement, la force du mouvement pour les animaux aujourd’hui, c’est son pacifisme, contrairement à certains chasseurs ou certains éleveurs qui ont des méthodes très musclées et qui, curieusement, sont rarement dénoncés par les pouvoirs publics. Quand vous avez des chasseurs qui vont taguer ou casser une permanence d’un député parce qu’il a signé le référendum pour les animaux, par exemple, il y a beaucoup moins d’indignation dans la classe politique que quand c’est des jeunes de banlieues qui font la même chose. Il y a une forme de tolérance vis-à-vis de certains groupes de pression et de certaines méthodes d’action très brutales, très violentes, qui explique aussi qu’en face, c’est dur de se mobiliser contre des gens qu’on sait violents, ou en tout cas qu’on sait enclin à une certaine forme de violence, et qu’on sait bénéficier d’une certaine forme de tolérance des pouvoirs publics. Tout ça explique que sur le terrain c’est compliqué.
Mais les choses changent petit à petit. Il y a de plus en plus de monde, en tout cas c’est ce qui remonte du terrain, même si c’est compliqué encore. Surtout, il y a de moins en moins de monde dans les pratiques contre lesquelles on se mobilise. C’est ça pour moi le chiffre clé. Les effectifs de chasseurs vieillissent énormément d’année en année, malgré la communication de la fédération de chasse qui essaie de dire qu’il y a beaucoup de jeunes, beaucoup de femmes… Tous les chiffres montrent que c’est faux. Dans les corridas, il y a de moins en moins de monde dans les arènes. Quand vous regardez les articles dans les journaux locaux sur le secteur de la tauromachie, c’est un secteur qui va mal. Il en va de même pour les cirques avec les animaux ou les delphinariums. De moins en moins de gens participent à ces choses-là. La consommation de viande baisse en France, pas énormément, mais c’est déjà un début. Les chiffres baissent pour la première fois, depuis très longtemps, ça bouge.
C’est surtout les gens qui ne font pas qui comptent, plus que les gens qui vont forcément participer à toutes les manifestations, etc. même si c’est fondamental de le faire. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, c’est un mode de militantisme qui est indispensable, qui fait partie de la palette des modes d’action qui existent. J’ai énormément d’admiration et de respect pour les gens qui vont en forêt s’opposer à la chasse à courre, sincèrement. Il ne faut surtout pas être désespéré par le fait que dans ces méthodes, qui sont des méthodes non pas radicales mais musclées, il y ait peu de monde, ce qui n’enlève en rien de leur efficacité.
Question 11
Bonjour, je voulais savoir ce que vous pensez des déchets plastiques dans le monde entier qui vont devenir un enjeu important dans les années à venir. On parle du septième continent. Il faut alarmer les politiques.
Hugo Clément
Sur les déchets plastiques, évidemment, c’est une catastrophe. On est tous d’accord là-dessus. C’est un des sujets les plus consensuels sur la question de l’environnement. Aujourd’hui, vous ne trouverez pas une personne pour vous dire que c’est bien de mettre des déchets plastiques dans les océans – quoique ça doit se trouver… Oui, c’est un fléau.
La chose la plus importante est de ne pas tomber dans le mirage du recyclage. L’industrie plastique développe énormément ce discours-là. « Ne vous inquiétez pas, on va tout recycler. » Sauf qu’à l’heure actuelle, on ne sait quasiment rien recycler sur le plastique. On sait recycler le PET clair, le plastique transparent dur des bouteilles d’eau, mais pas le PET coloré. En France, on est des gros consommateurs d’eau gazeuse. Ce sont des bouteilles vertes, comme vous le savez, qui, à part pour des raisons marketing, n’ont aucune utilité pour préserver la boisson. On ne sait pas bien recycler le PET coloré. On ne sait pas recycler le polystyrène, ou très peu. La réalité, aujourd’hui, est qu’on ne sait pas recycler la grande majorité du plastique.
Il existe aussi une confusion, entretenue, entre le recyclage et décyclage. Par exemple, on vous dit que les pots de yaourt, on les recycle parce qu’on en fait des cintres. Ça, ce n’est pas du recyclage. Le recyclage, c’est circulaire, c’est-à-dire : on prend une bouteille, on prend un flacon de gel hydroalcoolique en plastique, on en refait un flacon de gel hydroalcoolique en plastique. Ça c’est du recyclage. Ce qu’on fait aujourd’hui majoritairement, c’est du décyclage, c’est-à-dire qu’on prend un pot de yaourt en le transformant en des cintres en plastique. C’est bien, c’est mieux que de le brûler, sauf qu’on vient créer un nouvel objet plastique. Un cintre qui avant n’était pas fait en plastique mais en bois ou en métal – qui sont des matériaux qui posent moins de problème –, et qui à terme va devenir un déchet. Quand il va se casser ce cintre en plastique, on ne pourra plus le décycler ou le recycler, donc on va l’incinérer.
De fait, l’enjeu du décyclage, c’est un peu une grande illusion, et c’est ce qui permet à l’industrie plastique de justifier de continuer à produire autant de volume chaque année. On continue la croissance de production de plastiques qui augmente chaque année. Malgré la prise de conscience du problème, on continue à produire toujours plus de plastique. Ce qu’il y a dans les océans aujourd’hui, c’est la face émergée de l’iceberg, c’est-à-dire que c’est une toute petite partie du problème. La grande partie du problème, c’est le plastique qu’on ne voit plus. C’est le plastique qui s’est décomposé en microparticules, en nanoparticules, qui s’infiltrent partout, y compris dans nos corps d’ailleurs. Une étude montrait qu’on mange à peu près l’équivalent d’une carte de crédit de plastique par semaine dans un pays occidental, sans s’en rendre compte évidemment.
L’urgence, c’est de resserrer la production, de produire moins de plastique, d’agir aussi, notamment le législateur, pour arrêter certaines aberrations. Il y a des choses qui vont changer. Au 1er janvier, on ne pourra plus emballer des fruits et légumes non transformés avec du plastique. Ça a évolué, mais il y a énormément de choses à faire. Ce n’est qu’au niveau législatif que ça peut se passer. Parce que même moi, je continue à acheter du plastique dans ma vie de tous les jours. Je n’arrive pas à le supprimer complètement, même si j’essaye de faire attention quand c’est possible. Mais je me retrouve encore régulièrement avec des objets en plastique dans mon panier de courses. Tant qu’il n’y aura pas des filières alternatives qui seront développées, des législations qui mettront les pays européens et les pays du reste du monde sur un pied d’égalité, on aura du mal à régler ce problème.
Quant au fantasme de parvenir à nettoyer les océans, d’après les scientifiques qui ont travaillé sur ces questions-là, c’est quasiment impossible. Nettoyer le plastique qui se trouve dans les océans, techniquement parlant, ça supposerait des milliards de milliards de dollars d’investissements, des technologies qui n’existent pas aujourd’hui, et surtout, ça ne serait que pour récupérer les déchets encore relativement gros. Toutes les microparticules qui sont déjà dans les écosystèmes marins et dans les animaux marins, ceux-là, on ne peut pas les récupérer. L’urgence, c’est d’agir à la source.
Question 12
Tout à l’heure, vous parliez de l’élevage intensif. Je pense aux vidéos publiées par L214 sur certains abattoirs. On en entend beaucoup parler, on voit énormément de reportages. C’est quelque chose qui est assez courant, en tout cas dans tout ce qui concerne la protection animale, mais pour autant, à part dans certaines propositions qui n’aboutissent jamais, concrètement est-ce qu’aujourd’hui il y a réellement quelque chose de possible à faire ?
Hugo Clément
Il y a une baisse de la consommation de viande, mais il y a aussi certains abattoirs qui sont fermés, ou du moins qui sont un peu mieux contrôlés. Mais concrètement, je n’ai pas l’impression qu’il y ait un énorme mouvement. On en entend beaucoup parler, mais il n’y a pas tant de mesures que ça qui sont prises, tout du moins elles n’aboutissent pas. Effectivement, il y a des choses qui se passent quand même, notamment au niveau européen. Récemment, la commission européenne s’est engagée à sortir de l’élevage en cage dans toute l’Union européenne à l’horizon 2027, ce qui serait déjà une avancée historique, de mettre fin à l’élevage en cage. Cette pratique, en France, représente encore par exemple la moitié des poules pondeuses. Il s’agit là de dizaines de millions d’animaux. Les lapins, c’est 99 % en cage, ça représente aussi des millions d’animaux. Ça serait une mesure très forte. Il y a des choses qui se passent au niveau européen plus qu’au niveau français, il faut le reconnaître.
Il y a aussi des choses qui ont été annoncées quand même en France sur l’interdiction du broyage des poussins, l’interdiction de la castration à vif des porcelets, etc. Il ne faut pas dire qu’il ne se passe rien, mais c’est vrai que c’est très modeste. Il est possible d’agir de plein de manières, en changeant par exemple la densité réglementaire dans les élevages. Déjà, ça serait un premier point. Aujourd’hui, dans les élevages de poulets de chair, on peut aller jusqu’à plus de vingt poules au mètre carré. Ça fait une feuille A4 par poulet. C’est ça, un espace de vie d’un poulet, mais on peut très bien imaginer diminuer la densité dans les élevages dans la réglementation. On peut imposer que les animaux aient un accès au plein air quotidien, pas forcément un élevage totalement en plein air. Ce n’est pas possible d’avoir un élevage totalement en plein air, au niveau de la consommation actuelle en tout cas. Mais on peut créer des nouvelles normes. Surtout, il faut acter qu’on ne peut pas améliorer la condition de vie des animaux dans les élevages intensifs, et qu’on ne peut pas sortir de l’élevage intensif en maintenant le niveau de consommation actuelle. C’est impossible. En mangeant autant de viande que ce qu’on mange aujourd’hui, les éleveurs français ne peuvent pas fournir cette offre-là en faisant de l’élevage artisanal. Par exemple, sur la question des cochons en France, pour vous donner un seul chiffre, c’est 95 % d’élevage en bâtiment fermé sur caillebotis. Plus précisément, c’est 98 % en bâtiment fermé dont 95 % sur caillebotis, c’est-à-dire sur un sol qui n’est même pas un sol organique. Je crois qu’il y a 3 % d’élevages en bâtiment fermé sur paille, et après l’élevage plein air, c’est 1 % ou 2% en France de la masse de cochons produite. Pour trouver du cochon élevé en plein air, bon courage.
Louis Schweitzer
C’est pour ça que la LFDA veut mettre en place avec d’autres ONG, un système d’étiquetage, qui existe pour les poulets, et qui sortira l’année prochaine pour les porcs. Les critères sont en cours de mise au point. Cela fait deux ans qu’on y travaille, et on s’attaquera ensuite au lapin et aux œufs. Espèce par espèce, on avance et c’est très bien. Il est l’heure, donc je vous propose que nous concluions notre colloque, en remerciant notre journaliste militant qui est vraiment brillant.
[1] Président de la Fédération nationale des chasseurs. Retour
[2] Association communale de chasse agréée. Retour
[3] Conférences des parties sur le climat ou la biodiversité. Retour
[4] Société Pour l’Étude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest, association déclarée d’utilité publique agissant depuis 1981. www.sepanso40.fr Retour
[5] Créée en 2019 par convention avec les syndicats agricoles FNSEA et JA pour lutter contre « l’agribashing », cette cellule de la gendarmerie nationale a pour objectif de lutter contre les exactions à l’encontre du monde agricole. Ses abus ont été dénoncés notamment par l’association L214 qui a obtenu de la justice que cessent ses activités visant à la prévention et au suivi d’actions de nature idéologique. Retour
[6] Abolissons la vénerie aujourd’hui. Retour
Lire les autres interventions :
- Introduction par Louis Schweitzer
- Le respect de la faune sauvage : un impératif pour la biodiversité, un enjeu pour l’humanité par Gilles Boeuf
- Table ronde : Comprendre les menaces par Hélène Soubelet, Jean-Marc Landry et Laurence Parisot
- Table ronde : Se réconcilier avec la faune sauvage par Maud Lelièvre, Sabrina Krief et Antoine Frérot et Humberto Delgado Rosa
- Le rôle des associations et de l’opinion dans la protection de la faune par Allain Bougrain-Dubourg
- Message de la ministre de la Transition écologique et solidaire, Barbara Pompili
- L’engagement pour préserver les animaux sauvages en liberté par Nicolas Hulot
- Faune sauvage, de l’espèce à l’individu : un besoin de cohérence juridique par Muriel Falaise
- Table ronde : Sanctionner la maltraitance et la cruauté contre les animaux sauvages en liberté avec Loïc Obled, Marie-Bénédicte Desvallon et Manon Delattre