Intervention dans le cadre du colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » organisé par la LFDA le 16 novembre 2021 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Muriel Falaise, Juriste et maître de conférences en droit privé à l’université Lyon 3, membre du bureau de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences.
© Gabriel Legros
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Bonjour à tous. Je suis ravie d’être parmi vous aujourd’hui. Je tiens d’abord à remercier toutes les personnes qui ont contribué à l’organisation de ce colloque. Je sais que c’est beaucoup d’énergie. Merci de nous donner la possibilité de nous entretenir, tous ensemble, pendant une durée relativement longue. Ce n’est pas le cas de tous les colloques. Il est bien de pouvoir passer ensemble une journée pour nous pencher sur la place que nous laissons, aujourd’hui, à cet animal sauvage.
En ce qui me concerne, j’ai été sollicitée pour aborder devant vous les atteintes qui sont faites à l’animal sauvage libre, et explorer les différentes réponses que le droit apporte à ces situations. Je ne vais pas vous cacher que sur ce point, malheureusement, les choses ne sont pas au beau fixe puisque les textes actuels sont très parcellaires. On condamne uniquement les atteintes qui sont faites aux espèces protégées. L’animal sauvage n’est pas considéré en sa qualité d’être vivant sensible. Cette absence de protection juridique nous interpelle. Je souhaiterais revenir sur trois raisons, qui, à mon sens, devraient justifier une évolution de cette situation juridique.
Tout d’abord, je vais rappeler quelques éléments abordés ce matin, comme certaines personnes n’étaient pas présentes. La première raison, c’est que la science nous apporte constamment des preuves de l’existence d’une individualité de l’animal sauvage libre. En effet, on a entendu ce matin qu’un certain nombre d’études permettent de démontrer que ces animaux sauvages sont intelligents, sensibles, qu’ils ont des émotions, de la joie, de la souffrance… Surtout, ce qui est important, c’est que chacun est un individu et présente un certain nombre de caractéristiques qui lui sont propres. Chacun a bien une personnalité distincte : certains sont curieux, joueurs, craintifs… quand d’autres, à l’inverse, vont aimer la compagnie. On ne peut ignorer que nous sommes en présence d’une communauté composée d’individus, et à partir du moment où nous disposons de ces données, de ces éléments probants scientifiques, on se demande comment le droit ne prend pas en compte tous ces retours de terrain, très largement documentés depuis de nombreuses années. D’ailleurs, les différents scientifiques qui sont intervenus ce matin n’ont eu de cesse de le répéter. C’est vraiment le premier élément qui me semble important à prendre en compte pour faire ouvrir les yeux, notamment au législateur, sur la nécessité de transformer le statut de l’animal sauvage.
La deuxième raison est qu’on ne peut évidemment pas rester insensible aux images auxquelles on est confronté, qui sont d’une extrême violence, lorsqu’il y a des atteintes qui sont portées aux animaux sauvages. D’ailleurs, pour ceux qui regardent certaines de ces images, on a vraiment du mal à s’en défaire par la suite. Je ne sais pas si vous avez eu, comme moi, la très mauvaise idée de visionner la vidéo qui a été diffusée sur les réseaux sociaux il y a quelques mois, où l’on voit un groupe d’individus porter atteinte à un blaireau, en lui assénant un certain nombre de coups de pied, une fois qu’il est à terre, en l’écrasant, et en finissant par des coups de bâton. Ça paraît extrêmement étonnant que ces actes de cruauté ne fassent pas l’objet d’une sanction. Ils pourraient faire l’objet d’une sanction, mais, là encore, faut-il que les juges se donnent les moyens d’œuvrer en faveur de la protection de l’animal. Je m’explique.
Dans cette affaire à l’égard du blaireau, dans laquelle la LFDA a porté plainte, les juges vont avoir la possibilité de considérer que cet animal était captif au moment où les coups lui ont été portés. Dès lors, il tombe sous le coup de l’incrimination prévue par l’article 521-1 du code pénal. J’espère que les juges vont avoir le courage ou oser la même fermeté qu’il y a quelques années, lorsque nous avons eu, enfin, la première sanction à une peine de prison ferme pour un chaton qui avait été maltraité. L’auteur des maltraitances s’en était largement vanté en diffusant la vidéo sur les réseaux sociaux. Ce petit chaton, à l’époque, était individualisé, puisqu’il s’appelait, je crois, Oscar. Pour le blaireau, il n’y a pas de prénom, mais pour autant, on ne peut pas considérer qu’il ne s’agisse pas d’un individu qui mérite une protection.
Le blaireau, le pauvre, est également soumis à d’autres actes : que peut-on penser de la vénerie ? Cette action par laquelle le blaireau va être extirpé de terre, avec des pinces métalliques, jeté en pâture aux chiens, même si, je vous le rappelle, il y a un arrêté de 2019 qui interdit d’exposer l’animal aux chiens avant que celui-ci ne soit mort. C’est vrai que c’est très étonnant que, dans notre pays, on maintient certaines pratiques d’un autre temps. On a parlé ce matin de la chasse à la glu. On nous a rappelé d’ailleurs que la France avait été condamnée par la Cour de justice européenne. Je trouve d’autant plus étonnant que l’on continue à autoriser ces actes de cruauté alors même qu’on nous enseigne, de plus en plus, ce qu’on appelle la théorie du lien. Cette théorie met en avant un lien direct entre les violences domestiques et la maltraitance animale. Je pense que c’est un élément qui doit conduire, là encore, à une évolution de notre droit.
Et enfin, la troisième raison que je souhaiterais évoquer pour montrer cette nécessité d’évoluer dans notre législation, c’est que, là encore, actuellement, rien ne peut justifier qu’au cours de sa vie un individu, un animal, puisse passer d’une catégorie juridique à une autre, et donc changer de statut. Cela va avoir pour conséquence que, selon les moments de sa vie, l’animal ne bénéficiera pas de la même protection. Je m’explique. Un certain nombre d’animaux, au cours de leur vie, changent de catégorie. Chaque année, à l’ouverture de la période de chasse, vous avez des animaux qui sont élevés pour ensuite faire l’objet d’un lâcher à l’ouverture de la saison de chasse. Ce n’est pas du tout un exemple anecdotique. On estime qu’il y a un peu plus de 20 millions d’animaux qui sont dans cette situation. Lorsqu’ils sont élevés, ces animaux sont sous la protection du droit, puisqu’ils relèvent de l’article 521-1 du code pénal, dont on reparlera dans un petit moment, et à partir du moment où ils sont lâchés, ils rentrent à nouveau dans la catégorie de l’animal sauvage, et ne bénéficient plus de cette protection.
Ce matin, M. Schweitzer vous parlait également des lapins. C’est vrai qu’un lapin peut être un animal domestique, un animal de compagnie, ou un animal sauvage. C’est vrai pour le rat également, ou pour la mygale, nouvel animal de compagnie, les fameux NAC. Pourquoi bénéficient-ils, alors même qu’ils vivent avec une certaine proximité avec nous, d’une protection et dès lors qu’ils sont un peu plus éloignés de nous, dans leur milieu naturel, ne bénéficient-ils plus de cette protection ? J’aimerais prendre un dernier exemple avec vous : le chat. S’il provient d’un élevage, il va être qualifié d’animal de rente, à partir du moment où il est dans l’élevage et où il est destiné à procurer un avantage économique à son éleveur. À partir du moment où vous l’adoptez, il devient un animal de compagnie. Imaginons maintenant que ce chat s’échappe et reparte à la vie sauvage. On pourrait considérer qu’il redevient un animal vivant à l’état sauvage, et, dès lors, ne bénéficierait plus d’une protection. Je crois qu’à travers tous ces exemples, vous l’avez bien compris, on se retrouve face à une incohérence juridique.
J’aimerais revenir avec vous aux fondamentaux du droit pour comprendre pourquoi nous sommes dans cette situation. Dans notre système juridique, nous avons le droit civil, qui constitue le droit commun, et ce droit civil a vocation à encadrer l’ensemble des situations. Les animaux sauvages relèvent donc du code civil. D’ailleurs, on les trouve dans deux catégories, que sont ce que l’on appelle « les choses sans maître », et « les choses communes ». Ce sont les articles 713 et 714, même si je ne vais pas m’appesantir sur la numérotation qui n’a pas grand intérêt, qui sont applicables à ces catégories. « Les choses sans maître », on les trouve également sous une autre dénomination appelée res nullius, qui renvoie à la catégorie des animaux qui vont pouvoir être appropriés à l’occasion d’un acte de chasse par exemple. Les choses communes, que l’on appelle aussi res communis, sont des choses qui n’appartiennent à personne, et qui, à la différence des précédentes, ne sont, en principe, pas appropriables. C’est le cas des espèces protégées. Enfin, la réforme de 2015 a permis, à mon sens, de créer un statut civil général de l’animal. Le fameux article 515-14, je vous le rappelle, dispose que : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». La question qui se pose donc est de savoir quel est le champ d’application de cet article.
Une partie de la doctrine considère que cet article, puisqu’il est inscrit dans le code civil – donc le droit commun –, est effectivement applicable à l’ensemble des animaux, étant entendu qu’il n’est pas précisé dans le texte les différentes catégories d’animaux concernés. À priori, donc, il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les animaux captifs ou non, entre les animaux domestiques ou sauvages. Par ailleurs, on peut également souligner, dans cet article, qu’il n’y a aucune référence à la dimension d’appropriation de l’animal, contrairement à l’article qui faisait déjà état de la sensibilité de l’animal, le fameux article L214-1 du code rural, qui reconnaît la sensibilité de l’animal qui doit être placé par son propriétaire « dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».
Mais pour autant, la solution, elle, ne réside pas simplement dans cette interprétation de l’article 515-14, parce que ce n’est pas suffisant pour assurer la protection de l’animal sauvage. Ce qui va manquer, ce sont les sanctions pénales. L’article 521-1 du code pénal, qui réprime les actes de cruauté, concerne uniquement, à l’heure actuelle, les actes qui sont commis à l’encontre des animaux domestiques, apprivoisés, ou tenus en captivité. On aura beau faire tous les raisonnements juridiques que l’on souhaite, on ne pourra pas appliquer, en l’état actuel du droit, cet article 521-1 du code pénal à l’animal sauvage libre.
On peut se tourner vers d’autres dispositions, par exemple celles du code de l’environnement, qui contient évidemment un certain nombre de dispositions applicables aux animaux sauvages. Mais il permet principalement de sanctionner les atteintes qui sont portées aux espèces protégées et à la protection de leur habitat. On n’a donc pas de dispositions qui protègent l’animal sauvage libre en sa qualité d’être vivant sensible. La conclusion est que, certes, à force de raisonnements, nous pouvons convoquer le droit civil pour reconnaître la sensibilité de l’animal sauvage, mais le droit pénal qui, lui, a quand même vocation à protéger, est défaillant. La seule voie possible pour sanctionner des sévices graves revient donc, pour les juges, à considérer que l’animal qui a fait l’objet d’actes de cruauté était captif au moment où il a subi cette agression.
Aujourd’hui, il nous faut bien nous interroger sur la suite, et comment sortir de cette situation, que je qualifie, à juste titre il me semble, d’incohérente : elle nous amène à différencier les animaux qui sont à protéger, c’est-à-dire ceux qui sont sous la garde de l’homme, et les autres. En fait, si l’on pousse le raisonnement jusqu’à son terme, on pourrait même imaginer que ce qui conduit à considérer qu’un animal est sensible, c’est son appropriation par l’homme. Et là, je rejoins ce qui nous a été dit à l’instant par Nicolas Hulot, ça me semble parfaitement absurde. Ce n’est pas l’appropriation qui confère la sensibilité à l’animal. Évidemment, les scientifiques pourront en attester.
Quelle est la solution qui s’offre à nous ? Lorsque la situation semble figée, comme c’est le cas en ce moment pour l’animal sauvage, je pense qu’il est bon de regarder ce qui se pratique ailleurs. Nicolas Hulot, dans son intervention, nous disait : « Je pense que la France peut donner l’exemple. » Moi, je pense aussi que l’on peut aller chercher des exemples ailleurs qu’en France. Il va être intéressant de se tourner vers l’extérieur pour vérifier si cet état du droit constitue une spécificité française, ou si l’animal sauvage se trouve réduit au même rang d’invisible dans d’autres pays. On n’a pas le temps d’opérer la comparaison à l’échelle internationale, je vais donc me contenter d’une comparaison à l’échelle du continent européen, où l’on constate que l’animal est protégé par un ensemble de dispositions. Elles sont, selon les pays, soit de nature constitutionnelle, soit de nature législative. Il existe plusieurs pays qui ont intégré dans leurs constitutions un principe général de protection des animaux, comme l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg et la Suisse. Plusieurs autres États de l’Union européenne possèdent une législation en matière de protection des animaux qui s’applique non pas aux seuls animaux domestiques captifs ou apprivoisés, mais à l’ensemble des animaux, donc également aux animaux sauvages vivant à l’état de liberté. On trouve ce type de législation dans l’État de Chypre, en Irlande, en Finlande, et également au Luxembourg qui a une législation que je trouve particulièrement intéressante, et sur laquelle on pourrait s’appuyer. En 2018, ce pays s’est doté d’une nouvelle législation, qui a pour objectif « d’assurer », les termes sont importants, « la dignité, la protection de la vie, la sécurité, et le bien-être des animaux ». Et ce qui nous intéresse principalement, c’est que cette loi s’applique à tous les animaux vertébrés, ainsi qu’aux céphalopodes.
En conclusion, le législateur français pourrait, utilement il me semble, s’inspirer de ces exemples pour protéger les animaux sauvages, quel que soit l’état de conservation des espèces. Finalement, ça n’est pas nécessairement ça qu’il faut prendre en compte, si l’on veut protéger l’individu. On ne peut pas continuer à appréhender l’animal sauvage uniquement sous le prisme de l’espèce, comme c’est le cas en droit de l’environnement. Il faut donc nécessairement se détacher du droit de l’environnement, pour créer une autre forme de protection. Des dispositions pourraient être intégrées dans un droit, qui pourrait être le droit de l’animal, ou le droit animalier, et qui contiendrait l’ensemble des dispositions applicables aux animaux.
Plusieurs voies sont possibles. La première, qui va à l’encontre de ce que je viens de vous dire précédemment, serait d’insérer un nouvel article dans le code de l’environnement, et qui pourrait disposer que : « les animaux sauvages dotés de sensibilité, vivant à l’état de liberté, ne peuvent pas intentionnellement être blessés, tués, et capturés ».
L’autre voie possible serait d’opérer une modification du code pénal en le complétant à l’article 521-1, dont je vous ai parlé, pour ajouter tout simplement à la liste des animaux qui sont indiqués dans cet article les animaux sauvages vivant à l’état de liberté : « le fait publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, ou sauvage, est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende » Cette deuxième possibilité est d’autant plus intéressante que, dans la loi qui est en passe d’être votée, il y a une aggravation également du quantum des peines qui est prévue. Dans l’article actuel, les actes de cruauté sont passibles d’une amende à hauteur de 30 000 euros, et de 2 ans d’emprisonnement. Les peines devraient être aggravées, pour basculer sur 45 000 euros d’amendes, et 3 ans d’emprisonnement.
J’ai conscience de la difficulté de franchir ce pas. Certains s’interrogent sur les conséquences pour l’homme d’une telle reconnaissance de la sensibilité de l’animal sauvage, de l’interdiction d’effectuer des actes du cruauté à l’encontre de ces individus. Mais je crois qu’on peut quand même affirmer, sans aucune réserve, que cette avancée ne produirait aucun effet négatif pour l’homme. On a pu constater que la reconnaissance de la sensibilité par l’article 515-14 du code civil, qui concerne, à priori, les animaux domestiques et assimilés, n’a pas eu pour conséquence des interdictions par rapport à l’utilisation de l’animal. De même, je vous rappelle que nous n’avons strictement rien perdu lorsque l’Union européenne a interdit, et ça date de 1991, l’utilisation des pièges à mâchoires, qui n’étaient pas conformes aux normes internationales de piégeage sans cruauté. Donc, le législateur doit venir préciser, sans ambiguïté, que l’animal sauvage est un être vivant sensible qui doit être protégé. Nous ne perdrons rien en protégeant cet individu. Par contre, je pense que notre société en sortirait grandie, et cela permettrait de repenser plus globalement notre rapport au vivant. Je vous remercie pour votre attention.
Lire les autres interventions :
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- Le respect de la faune sauvage : un impératif pour la biodiversité, un enjeu pour l’humanité par Gilles Boeuf
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- L’engagement pour préserver les animaux sauvages en liberté (vidéo), Nicolas Hulot et Louis Schweitzer
- Table ronde : Sanctionner la maltraitance et la cruauté contre les animaux sauvages en liberté avec Loïc Obled, Marie-Bénédicte Desvallon et Manon Delattre
- Discussion avec Hugo Clément, journaliste engagé