Cette tribune a été publiée dans la revue du Touring-Club de France en mai 1975. Avant même la création de la LFDA, la Pr Jean-Claude Nouët, président d’honneur et co-fondateur de la fondation, dénonçait publiquement les zoos insalubres.
« Le monde des animaux sauvages ; le paradis terrestre ; la réserve africaine ; le safari photo comme au Kenya ; l’aventure qui nous attend. » Ces slogans sont extraits de publicités de zoos ; ils sont habilement choisis. La prolifération fantastique des parcs « zoologiques », leur utilité et la condition des animaux étant sérieusement contestées, les parcs se redécouvrent une « vocation éducative primordiale » bien oubliée et mettent en avant un « rôle scientifique » et même un rôle dans « la protection des espèces ». En vérité il s’agit de planter un décor, mais ce décor est planté pour un drame, il a un envers et il cache des coulisses.
L’envers du décor commence dès la capture dans la nature. Les animaux sont piégés, pourchassés, blessés, abandonnés. Pendant le transport, les quarantaines, les transplantations successives, pendant ce que l’on baptise acclimatement, combien de vies sont encore gâchées ? Au total, 2 animaux sur 10 parviennent à « destination », quelquefois 1 sur 100.
L’envers du décor, c’est la mort des animaux captifs : ils ont une vie plus courte que les animaux libres. L’achat de nouveaux individus bouchera les trous laissés par les cadavres. Sans ce « renouvellement », le parc des singes en liberté serait vite dépeuplé, l’enclos des manchots serait désert, les volières et les cages seraient vides. Sans apport extérieur, le cheptel d’un zoo ne peut que diminuer et disparaître. Mises à part quelques rares espèces, les animaux sauvages ne se reproduisent pas en captivité et, en tout cas, le nombre des naissances reste très inférieur à celui des morts. Une naissance exceptionnelle ici ou là ne suffit pas pour que l’on puisse parler de reproduction. De plus, la naissance ne veut pas dire la vie : en captivité, la mère refuse en général de s’occuper de son petit et parfois elle le tue.
L’envers du décor c’est la disparition des espèces à laquelle contribuent donc largement les parcs « zoologiques ». Le maintien des effectifs, la création de nouveaux enclos, veulent dire captures et, à cet égard, les grands zoos sont particulièrement destructeurs. Pour une centaine d’orangs-outangs « nés » en captivité dans le monde entier depuis près de cent ans, des dizaines ou des milliers ont été massacrés pour le seul besoin des zoos. Est-ce là un bilan positif ? Qui d’autre est responsable de la disparition de cette espèce, dont on ne compte plus que 3000 individus sauvages ?
L’envers du décor, ce sont les cages, les fosses, les geôles. Derrière l’enclos où se balancent quelques éléphants, d’autres sont rivés au sol par des anneaux, nuit et jour, car il n’y a pas de place pour tous à l’extérieur. Derrière les fosses où mendient les ours, d’autres sont encagés, deux kodiaks énormes attendent un acheteur depuis quatre ans sans avoir jamais vu le jour. C’est la nourriture, souvent mal adaptée, quelquefois scandaleusement dangereuse – viande avariée, poisson en putréfaction provoquent des intoxications mortelles.
L’envers du décor, c’est la maladie, les diarrhées, les pneumonies, les maladies de peau, le guépard devient paralysé du train postérieur, l’otarie devient aveugle, les lions meurent de néphrite. C’est la folie du singe qui s’arrache les poils, de l’ours qui se déchire le museau sur le mur de sa fosse, c’est la folie du gorille qui vire comme une toupie sans s’arrêter un seul instant.
L’envers du décor, c’est la misère des oiseaux. Les busards, les aigles, les vautours sont-ils créés pour attendre la mort dans ces immondes cages à poules couvertes de fientes ? Une grande volière coûtant trop cher, n’est-il pas plus simple d’éjointer les oiseaux captifs c’est-à-dire de leur couper les tendons des ailes ? La beauté d’un flamant en vol, la puissance d’un pélican qui plonge, comme on les observe bien sur ces créatures immobiles stériles et boueuses.
L’envers du décor, ce sont les accidents, les bras arrachés par les ours, les hommes dévorés par les lions, les morsures, les enfants tués, parce que l’accident est toujours possible dès qu’il n’est pas rendu strictement impossible. C’est l’ignorance zoologique et vétérinaire de la majorité des propriétaires et du personnel.
L’envers du décor, c’est surtout l’exploitation commerciale des animaux. C’est la cohorte des cages minuscules que l’on traîne d’école en école ou de foire en foire, et l’exhibition de singes ridiculement déguisés, c’est l’ourson gros lot d’un concours publicitaire d’entremets, et la ménagerie ambulante qu’un « grand ami des animaux » loue à prix d’or à des supermarchés pour activer les ventes ; c’est l’animation des vitrines de Noël d’un grand magasin et la location pour des émissions de télévision. C’est aussi la peau de zèbre à 3 000 F et la peau de tigre à 10 000 F parce qu’il ne faut rien perdre.
Il y a plus de 200 zoos en France. Le plus compétent de leurs directeurs a déclaré que « 5 ou 6 seulement sont nécessaires ». Il faut fermer le reste parce que l’envers du décor c’est la maladie, la souffrance, la misère et la mort. L’envers du décor, c’est l’arrière-boutique.
Jean-Claude Nouët
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