Quels critères de protection de l’animal ? Le code rural protège « tout animal étant un être sensible » et le code civil parle des animaux comme étant « doués de sensibilité ». Est-ce à dire que tous les animaux sont sensibles ? Que seuls les animaux sensibles méritent protection ? La conscience et l’intelligence entrent-elles en compte ? Rappel de quelques notions fondamentales.
QU’EST-CE QU’uN « ANIMAL, ÊTRE SENSIBLE » ?
Définitions
Il existe plusieurs types de sensibilité dans le domaine du vivant, entre autres :
- Sensibilité chimique : Très répandue chez tous les êtres vivants, végétaux compris. Par exemple, une plante est généralement sensible à la lumière, la gravité, l’humidité…
- Sensibilité nerveuse : Des récepteurs situés dans la peau, les organes internes, etc., détectent diverses informations (chaleur, pression…), transmises via des neurones aux centres nerveux de l’organisme, tel le cerveau chez les vertébrés. À l’exception de quelques espèces comme les éponges , tous les animaux sont dotés de ces mécanismes.
- Nociception : Basée sur des récepteurs spécialisés dans la détection d’une menace potentielle ou réelle pour l’intégrité de l’organisme (brûlure, coupure…). Elle n’est pas nécessairement consciente ou associée à la douleur. L’individu élabore alors une réponse appropriée : retrait de la partie du corps touchée, fuite…
- Douleur : C’est l’« expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle », selon l’Association internationale pour l’étude de la douleur. La souffrance, souvent confondue avec la douleur, est un ressenti déplaisant et peut-être ou non associée à une douleur. Les deux impliquent un certain niveau de conscience.
La sensibilité des invertébrés
Ils possèdent un système nerveux particulier, qui ne permet pas de les comparer par analogie directe avec les vertébrés (mammifères, poissons…). Néanmoins, certains de leurs comportements suggèrent fortement l’occurrence d’une douleur. Jusqu’à aujourd’hui, les études menées sur les invertébrés ne sont pas concluantes sur leurs capacités à souffrir ou à ressentir des émotions. Certains scientifiques sont tout de même de plus en plus convaincus que des insectes et mollusques ressentent douleur et émotions : les écrevisses seraient anxieuses, les mouches connaitraient la peur, les abeilles seraient optimistes quand elles reçoivent une récompense sucrée… La neuroéthologie nous en apprendra bientôt plus.
« Outre les animaux vertébrés, les céphalopodes devraient également être inclus dans le champ d’application de la présente directive, car leur aptitude à éprouver de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse et un dommage durable est scientifiquement démontrée. »
Considérant 8 de la directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.
Qu’est-ce qu’une émotion ?
Définition
Réponse à une situation spécifique associée à des modifications comportementales, physiologiques, cognitives et subjectives (réponse affective) ; elle est de courte durée et de forte intensité. Les émotions aident à prendre des décisions. Elles ont donc une valeur adaptative : une émotion négative (peur, dégoût…) renforce l’évitement d’une situation dommageable et une émotion positive (plaisir, joie…) renforce l’acquisition de ressources physiques, sociales et intellectuelles durables.
Multidimension des émotions
Comportement : sursaut, fuite…
Physiologie : accélération du rythme cardiaque, sueur…
Cognition : évaluation du contexte, appel à la mémoire…
Subjectif : ressenti positif ou négatif
Les animaux inférieurs (sic), de même que l’homme, ressentent
Darwin (1871)
manifestement le plaisir et la douleur, le bonheur et le malheur.
Les animaux sont-ils conscients ?
« Conscience » : définition
Capacité à accéder à une information mémorisée ou à un état mental. Elle serait apparue pour canaliser le traitement des informations multiples de l’environnement. Plusieurs théories parlent de niveaux de conscience. Elles font encore l’objet de débats.
- Conscience d’accès : Conscience des informations de son environnement, qui sont rendues accessibles pour un traitement cognitif (réflexion, mémorisation) : elle permet la création de « cartes mentales », comme dans le cas d’un chien qui marque son territoire.
- Conscience phénoménale : Perception brute et subjective de l’environnement : l’herbe est verte, la pomme est ronde… Elle concernerait le « ressenti » : les sentiments, les perceptions, les pensées, les désirs et les émotions. Tous les animaux sentients* en seraient donc dotés.
- Conscience de soi : Capacité à réfléchir sur ses actions et leurs conséquences et à percevoir son identité propre. On l’assimile souvent à la conscience réflexive (« Je sais que je sais »). Le « test du miroir » (tâche de Gallup) est utilisé pour étudier les animaux conscients de leur propre corps. Les humains, bonobos, chimpanzés, gorilles, orangs outans, dauphins, éléphants et pies ont réussi le test.
*Sentience
Ce terme anglophone fait aujourd’hui irruption dans la langue française. La sentience désigne la capacité d’un animal à posséder une forme de conscience et à ressentir des émotions, et pas seulement la douleur ou des sensations primaires de perception de l’environnement ou du corps. Les animaux peuvent ainsi avoir des intentions, des désirs… Certains auteurs considèrent
que les animaux sentients méritent une plus grande considération morale que les autres.
Intelligence
« Cognition » : définition
Désigne les processus de la pensée liés aux connaissances, tels la mémoire, l’apprentissage… Elle permet la résolution de problèmes complexes et l’adaptation aux conditions imprévisibles de l’environnement.
- Oiseaux : Le perroquet gris du Gabon possède un cerveau particulièrement développé qui lui permet de compter, communiquer avec les humains, faire preuve de morale et de stratégies élaborées, comme l’a étudié Dalila Bovet, éthologiste et administratrice de la LFDA.
- Primates : Les chimpanzés utilisent régulièrement des pierres ou des bouts de bois comme outils ou armes. Certains d’entre eux fabriquent des lances en bois pour chasser de petits mammifères dans le creux des arbres.
- Insectes : Pour communiquer la localisation d’une source de nourriture à leurs congénères, les abeilles pratiquent une « danse » sophistiquée basée sur l’emplacement du soleil et la construction d’une « carte mentale ».
- Mollusques : Certains céphalopodes ont suivi une évolution vers des capacités d’apprentissage très développées. Les pieuvres sont capables de résoudre des problèmes complexes, comme ouvrir un bocal pour y récupérer une récompense.
À retenir
Pour protéger les animaux, on peut se fonder sur leur capacité à souffrir, à raisonner ou sur l’existence d’une conscience. Néanmoins, si ces capacités ne sont pas encore reconnues chez certaines espèces, cela ne nous donne pas pour autant le droit de leur nuire.
Lecture conseillée
La Souffrance animale, de la science au droit, 2013 (actes du colloque organisé en 2012 par la LFDA).