Aux côtés de 130 scientifiques, experts et ONG de protection des animaux, nous avons cosigné cette tribune dans Le Monde du 30 janvier 2024, pour soutenir la proposition de loi de la députée Sandra Regol visant à interdire l’importation et l’exportation de trophées de chasse d’espèces protégées. La proposition de loi sera débattue demain à l’Assemblée nationale. Nous encourageons tous les députés à voter en faveur de la proposition de loi.
Chaque année dans le monde, plus de 200 000 animaux sauvages sont tués pour servir de trophées. Léopards ou ours polaires, deux espèces pourtant menacées et protégées, finissent ainsi légalement en tapis de sol ou en décoration murale. Mercredi 31 janvier, l’Assemblée nationale devra se prononcer sur l’interdiction de l’importation, l’exportation et la promotion de ces trophées de chasse provenant d’espèces protégées.
Les signataires de cette tribune soutiennent cette proposition de loi et rappellent que « tuer pour sauvegarder » n’est ni une approche éthique ni une approche durable, mais bien une menace pour la survie de nombreuses espèces ainsi que pour les communautés des territoires concernés. La chasse aux trophées est une pratique qui consiste à payer plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’euros pour abattre des animaux rares, parce qu’en voie de disparition, et ramener tout ou partie de leurs dépouilles comme trophées.
Les éléphants, les lions, les rhinocéros et les léopards font partie des animaux les plus convoités et donc des chasses les plus onéreuses : plus l’animal est rare, plus la valeur symbolique et marchande sera élevée. Autrement dit : plus l’espèce est en danger, plus le trophée est prisé. Bien que certains pays aient mis en place des lois pour réguler voire interdire cette pratique, en France, l’importation comme l’exportation de trophées de chasse est légale.
Une forte pression sur les espèces
De fait, la France se positionne comme le deuxième exportateur de trophées en Europe, représentant 19 % du total des exportations. Notre pays détient même le triste record européen pour l’importation de trophées de léopards, de lynx d’Eurasie et de guépards. Outre les préoccupations éthiques, de multiples études mettent en évidence les effets néfastes de la chasse aux trophées sur les animaux protégés.
En pleine extinction de masse, l’abattage de grands mammifères accroît la pression sur les espèces qui sont déjà gravement touchées par la réduction de leurs habitats, due à l’exploitation des ressources naturelles et au réchauffement climatique.
Les chasseurs de trophées visent le plus souvent les animaux les plus grands et forts, donc ceux qui protègent ou dirigent les meutes, ceux dont le patrimoine génétique est censé renforcer le groupe. Inversant la dynamique de la sélection naturelle, ces prélèvements humains laissent les animaux les moins forts survivre et fragilisent donc, et en sus, à long terme le patrimoine génétique d’espèces déjà en danger.
Des problèmes de consanguinité, d’érosion génétique ou de changement de caractéristiques physiques peuvent alors affecter des espèces déjà sous pression. Dans la réserve de Selous, en Tanzanie, la chasse aux trophées a contribué à la diminution de la population d’éléphants, passant de cinquante mille en 2009 à seize mille en 2016. Le tarif d’un trophée d’éléphant varie généralement entre 20 000 et 40 000 dollars (jusqu’à 37 000 euros). Un tarif qui ne comprend pas le voyage des quelques touristes étrangers qui ont les moyens et l’envie de telles dépenses.
De nombreuses failles juridiques
Les règles internationales imposent aux entreprises étrangères qui proposent ces prestations, et gèrent les élevages le cas échéant, de reverser un pourcentage de leurs bénéfices localement. Mais une pratique qui ne connaît aucun contrôle ou sanction est rarement appliquée : celle-ci ne déroge pas à la règle.
Pourtant, on estime qu’un éléphant vivant peut générer jusqu’à 1 600 000 dollars tout au long de sa vie rien qu’en recettes touristiques, un gain local qui génère de l’activité économique pour les populations locales et des bénéfices pour la collectivité. Les emplois et bénéfices potentiels de la chasse aux trophées sont bien en deçà des potentiels du tourisme durable, axé sur l’observation.
En effet, selon un rapport du site Economists at Large publié en 2017, celle-ci ne représentait que 1,9 % des 17 milliards de dollars de recettes touristiques, et seulement 0,76 % des 2,6 millions d’emplois (environ 19 000 emplois) dans le tourisme animalier de huit pays d’Afrique subsaharienne étudiés.
Il existe en France un cadre légal pour encadrer la protection des espèces. Il existe également des traités et accords internationaux qui régissent les règles commerciales sur les importations et exportations des espèces en danger. Pourtant, des failles juridiques font de ce cadre légal apparent une passoire géante.
De la responsabilité des députés
Tant que la France tolérera, par son inaction ou son déni, la chasse aux trophées, elle devra assumer sa responsabilité directe dans le risque d’extinction des espèces concernées. L’interdiction des importations et des exportations représente la solution la plus directe et la plus efficace que notre pays puisse mettre en place pour contribuer significativement à réduire ces risques. Nous appelons maintenant l’ensemble des députés à prendre leurs responsabilités et à achever le travail entrepris depuis plus de dix ans. Cette proposition de loi ne s’occupe pas de chasse ou de chasseurs, elle suggère des moyens juridiques et concrets pour empêcher des dizaines d’espèces de disparaître.
La France n’est, sur ce dossier, ni seule ni isolée : toute la zone Europe prend conscience du danger, et l’un après l’autre, nos voisins agissent. En 2015, la France avait su être courageuse et interdire l’importation de trophées de lions à la suite de l’indignation mondiale suscitée par la mort du lion Cecil, abattu par un chasseur américain lors d’une chasse aux trophées au Zimbabwe. Il y a six mois, l’Assemblée nationale a modifié le code des douanes pour restreindre les importations de trophées, et à l’occasion de ce débat Gabriel Attal avait réaffirmé sa volonté de lutter contre la chasse aux trophées.
La France doit suivre le chemin des Pays-Bas et de la Finlande, qui ont déjà adopté des mesures d’interdiction. Le Parlement belge a quant à lui remporté une victoire historique pour la conservation des espèces sauvages en votant, le 25 janvier, à l’unanimité, l’interdiction d’importer des trophées de chasse d’espèces menacées telles que les éléphants, les lions, les rhinocéros, les hippopotames, les gorilles et bien d’autres encore.
Partout en Europe, les citoyens et les associations se mobilisent sur cette question, et 91 % des Français soutiennent l’adoption d’une telle loi pour protéger les espèces. Députés de tout bord, protégez la biodiversité, mettez fin à l’importation et à l’exportation des trophées de chasse !
LISTE DES SIGNATAIRES
Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)
Dalila Bovet, professeure en éthologie, Université Paris Nanterre, membre du conseil d’administration de la LFDA
Georges Chapouthier, directeur de Recherche Emérite, membre du conseil d’administration de la LFDA
Bertrand Chardonnet, docteur vétérinaire, expert indépendant en faune sauvage et aires protégées africaines, membre des commissions de l’Union internationale de la conservation de la nature (IUCN) pour la survie des espèces et sur les aires protégées
Adam Cruise, journaliste, Endangered Wildlife Investigations
Chanel Desseigne, avocate, membre du comité scientifique de la LFDA
Alice Di Concetto, juriste, Institut européen pour le droit de l’animal, membre du comité scientifique de la LFDA
Muriel Falaise, maître de conférence de droit privé, Université lyon 3, membre du conseil d’administration de la LFDA
Alain Grépinet, administrateur de la Fondation LFDA, membre du conseil d’administration de la LFDA
Astrid Guillaume, présidente de la Société française de Zoosémiotique, membre du comité scientifique de la LFDA
Kathryn Gwiazdon, présidente du groupe de spécialistes de l’éthique de la Commission mondiale du droit de l’environnement (WCEL) de l’UICN
Mark Jones, vétérinaire, responsable des politiques, Born Free Foundation
Galitt Kenan, directrice générale, Jane Goodall Institute France
Christophe Marie, directeur adjoint de la Fondation Brigitte Bardot
Odile Petit, directrice de recherche, CNRS
Houssein Rayaleh, directeur exécutif de l’association Djibouti Nature
Rosaline Reeve, avocate en droit de l’environnement, Fondation Franz Weber & David Shepherd Wildlife
Gautier Riberolles, éthologue, membre du comité scientifique de la LFDA
François-Xavier Roux-Demare, vice-président de l’université de Bretagne-Occidentale et enseignant-chercheur en droit privé
Louis Schweitzer, président de La Fondation Droit animal, Éthique et Sciences (LFDA)
Jessica Serra, docteure en éthologie, directrice de collection et autrice, membre du conseil d’administration de la LFDA