L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), présidé par le sénateur Gérard Longuet et vice-présidé par le député Cédric Villani, lauréat de la Médaille Fields, a rendu public un rapport intitulé « L’utilisation des animaux en recherche et les alternatives à l’expérimentation animale : état des lieux et perspectives ».
Publié le 21 mars, il repose principalement sur une audition publique qui a eu lieu le 17 janvier 2019 autour de deux tables rondes :
- L’expérimentation animale : état des lieux ; points de vue scientifique, associatif et sociétal.
- Les méthodes alternatives à l’expérimentation animale, leur place en recherche et en R&D.
Dans la première, sont intervenus des scientifiques utilisant les animaux dans leur travail de recherche, des scientifiques impliqués dans la Commission nationale de l’expérimentation animale (CNEA) et le Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (GIRCOR), un spécialiste du comportement des animaux, et deux représentants d’organisations de défense des animaux dont Georges Chapouthier, neurobiologiste et philosophe, administrateur de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA). L’OPECST avait rendu un rapport similaire en 2009 et a donc souhaité actualiser les connaissances sur le sujet.
Pour les dernières statistiques sur l’utilisation d’animaux en expérimentation, lire cet article.
Les recommandations de l’OPECST
Dans son rapport l’OPECST fait plusieurs recommandations :
- Inciter au développement d’études de biosurveillance et d’études épidémiologiques sur la santé humaine grâce aux big data permettant d’avoir accès à des quantités massives de données dans ces domaines.
- Encourager la Haute autorité de santé et l’Agence nationale de sécurité des médicaments à utiliser la modélisation informatique.
- Encourager la publication par les chercheurs des résultats « négatifs » des études sur les animaux, autrement dit les résultats non concluant, sur des sites déjà existants.
- Former à l’éthique et à la bientraitance des animaux au cours du cursus universitaire et augmenter le nombre de place disponible en formation continue.
- Limiter l’utilisation d’animaux en travaux pratiques dans l’enseignement supérieur.
- Insister auprès des ministres compétents pour que le décret doublant le nombre de représentants de la protection animale à la CNEA (de 3 à 6) soit enfin promulgué.
Un état des lieux…
Le rapport, qui se veut faire un état des lieux de l’expérimentation animale et des méthodes alternatives à l’utilisation d’animaux en France, explique que le bien-être des animaux et la reconnaissance de leur sensibilité sont encore mieux prises en compte par les chercheurs, et la directive européenne 2010/63/UE sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques y a contribué. Il rappelle que le modèle animal est encore indispensable dans certains domaines de recherche (les exemples de la recherche sur Parkinson ou l’autisme sont cités). Les limites de l’utilisation de l’animal comme modèle de recherche sont également abordées, dues en premier lieu aux différences qui existent entre l’espèce humaine et les espèces animales utilisées. Le rapport aborde évidemment la question de la compétitivité de la recherche française dans le monde, où les pratiques en matière d’expérimentation animale peuvent différer. La communication envers le public est citée comme un enjeu important. L’utilisation des animaux dans la formation est un sujet incontournable, car trop d’animaux sont encore utilisés dans ce domaine par rapport à nos voisins européens. (voir l’article de V. Jacquot dans ce numéro)
Sur les méthodes alternatives, le rapport indique que la science a progressé avec le développement de la culture cellulaire, de la microfluidique et de l’imagerie ; les progrès devraient continuer. Il est cependant expliqué que ces méthodes sont souvent utilisées de manière complémentaire et non substitutive à l’animal. Les comités d’éthique ont été évoqués : ils sont critiqués pour leur composition qui n’impose pas un expert en méthode alternative ou protection animale, mais aussi encensés pour leur rôle indispensable. Le rapport mentionne aussi les contraintes législatives et institutionnelles, qui obligent l’utilisation d’animaux pour certains tests toxicologiques, ou qui empêche le développement rapide de méthodes substitutives, comme le long parcours obligatoire pour qu’une alternative dans le domaine toxicologique soit validée au niveau réglementaire. La question de leur financement est inévitable, puisque la France ne prévoit aucun fonds dédié au développement des méthodes alternatives. Le prix de biologie Alfred Kastler de la LFDA est cité comme unique financement direct, outre des financements européens.
…incomplet
Cependant, cet état des lieux comporte des lacunes. Tout d’abord, il n’est pas précisé quels sont les domaines pour lesquels l’animal n’est plus indispensable (par opposition à son utilisation « nécessaire dans certains domaines »). Ensuite, concernant la formation, il a été indiqué pendant l’audition que certains cursus universitaires n’utilisent plus d’animaux, sans toutefois préciser lesquels. Sur les méthodes alternatives, une liste de techniques utilisées ainsi qu’une liste de méthodes autorisées à être utilisées pour les tests toxicologiques auraient été utiles. Malheureusement, ces listes sont difficiles à trouver ou n’existent pas (voir l’article « Existe-t-il une liste des méthodes alternatives à l’expérimentation animale » publié dans le n°99 de cette revue). En outre, l’objectif de la directive européenne qu’est la fin de l’expérimentation sur les animaux n’est pas mentionné dans le rapport. Cela aurait dû être rappelé afin d’encourager les méthodes alternatives, qui n’ont pas à venir en complément des animaux mais à s’y substituer. Enfin, aucune donnée chiffrée sur l’utilisation de l’animal n’apparaît, alors que les statistiques publiées permettent notamment d’avoir une idée de l’évolution de l’expérimentation, mais aussi de la sévérité des procédures, entre autres données.
Conclusion
L’OPECST a souhaité mettre à jour ses connaissances et recommandations sur l’expérimentation et ses méthodes alternatives. Bien que le rapport aborde de nombreux aspects du sujet, certains, pourtant essentiels, ont été laissés de côté, aboutissant à des recommandations peu ambitieuses. Il convient toutefois de remarquer que si toutes les recommandations que fait l’OPECST dans ce rapport étaient mise en œuvre, cela permettrait déjà de progresser vers une recherche sans animaux.
Nikita Bachelard
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « L’utilisation des animaux en recherche et les alternatives à l’expérimentation animale : état des lieux et perspectives ». Compte rendu de l’audition publique du 17 janvier 2019 et de la présentation des conclusions du 21 mars 2019 PAR M. Cédric VILLANI, député, et Mme Florence LASSARADE, sénatrice. http://www.senat.fr/rap/r18-400/r18-4001.pdf
Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences