Roland Cash, Éditions Matériologiques, collection « Essais », 294 pages (22 €)
Les ouvrages en lien avec la condition des animaux foisonnent, mais l’expérimentation animale est rarement le thème central. L’ouvrage L’expérimentation animale en question de Roland Cash y remédie. L’auteur maitrise son sujet : médecin et docteur en pharmacologie, il est également vice-président de l’association Transcience, qui cherche à promouvoir une science sans l’utilisation d’animaux. L’auteur connaît donc bien les rouages de l’expérimentation animale, la législation en la matière et les méthodes permettant de se passer d’animaux dans les procédures. Toutes ses connaissances, Roland Cash nous en fait profiter dans un livre complet et bien documenté.
L’ouvrage démarre par un état des lieux de l’expérimentation animale. La législation applicable est la directive européenne 2010/63/UE, qui fait appel au principe des 3R (remplacer et réduire le nombre d’animaux utilisés, raffiner les procédures expérimentales). Les espèces présentes dans les laboratoires, le nombre d’animaux utilisés (et ceux qui ne sont pas comptabilisés), les parties prenantes, l’organisation du monde de la recherche, les étapes constituant le projet de recherche, les procédures expérimentales, tout y passe. À propos des statistiques sur l’utilisation des animaux (voir l’article « L’utilisation des animaux pour la recherche pendant la crise de la Covid-19 » dans la revue 113 pour les derniers chiffres disponibles pour la France), l’auteur apporte des précisions sur le nombre d’animaux utilisés par l’armée française, sujet rarement évoqué car les informations sont difficilement accessibles : près de 1 600 animaux en 2019.
Cash souligne à juste titre les problèmes afférents à la composition et au fonctionnement des comités d’éthique, dont le but est d’évaluer que les projets de recherche élaborés respectent le principe des 3R : conflits d’intérêt, manque d’expertise dans le domaine des méthodes de substitution aux animaux…
L’ouvrage s’attarde sur la souffrance des animaux de laboratoire. Que ce soit par les enquêtes d’organisations de défense des animaux, les lectures des résumés des projets de recherche ou bien les statistiques qui font état de 14 % de procédures de gravité sévère et environ 50 % de gravité modérée (données de 2019 pour la France), celle-ci est bien documentée. L’auteur plaide pour que les procédures sévères deviennent exceptionnelles. Sont évoquées des réflexions d’éthicistes ou de chercheurs pour compléter le principe des 3R, qui semble manifestement imparfait (à ce propos, voir l’article « Expérimentation animale : les 3R, un concept dépassé ? » dans le n° 107 de cette revue).
Une autre problématique soulevée par Roland Cash est celle de la transparence. Bien que désormais, la transparence soit mise en avant par les acteurs de la recherche, comme elle l’est dans la législation européenne, dans les faits, de gros progrès restent à faire. L’auteur relève que « les analyses rétrospectives [des projets pour les évaluer a posteriori, prévues par la directive européenne] ne sont pas publiées du tout (on ignore même si elles sont réalisées) » (p. 97).
Lire aussi : « Transparence en recherche animale : les informations restent très opaques » revue n° 114 (été 2022)
L’ouvrage s’intéresse ensuite aux limites de l’expérimentation animale. Elle est largement critiquée par ses détracteurs pour son manque de prédictibilité : la plupart des expériences réussies chez l’animal échoueraient lorsqu’elles sont réalisées chez l’humain. Cash expose des exemples d’utilisations qu’il juge non pertinentes, comme les « vaches à hublot », ces vaches qui disposent d’une canule posée sur leur abdomen pour accéder directement à leur estomac. Cette procédure visuellement choquante n’est pas spécialement douloureuse pour l’animal, mais l’auteur reproche à ces expériences le fait de vouloir adapter l’animal aux problématiques de l’élevage, plutôt que d’adapter l’élevage à l’animal. La pratique des « vaches à hublot » devrait être progressivement abandonnée par l’Inrae.
Un chapitre de l’ouvrage est consacré à la réflexion éthique. L’auteur expose deux approches principales de l’éthique animale : l’utilitarisme et le déontologisme. L’utilitarisme, qui vise à maximiser le bonheur du plus grand nombre d’individus sentients, accepte, dans une certaine mesure, l’expérimentation sur les animaux si elle permet d’accroître le bonheur d’un maximum d’humains (voire d’animaux). Le déontologisme, pour sa part, accorde une valeur absolue à la vie des êtres sensibles et rejette ainsi toute forme de souffrance. Roland Cash s’inscrit dans cette seconde approche. Il reproche au concept de « bien-être animal » de n’être qu’une sorte de coquille vide permettant aux pires pratiques de persister. Le bien-être d’un animal est une notion scientifique largement étudiée et pertinente ; c’est plutôt son utilisation à tout va qui pose question.
L’auteur consacre un chapitre entier aux primates (non-humains) utilisés en recherche biomédicale (voir son article « Y a-t-il encore des singes prélevés dans la nature pour la recherche biomédicale ? » dans le n° 111 de cette revue). Notons à ce propos l’annonce récente d’Air France d’arrêter de transporter des singes destinés à la recherche.
Les types de méthodes alternatives – ou substitutives, tel est le débat – à l’expérimentation animale sont détaillés dans le dernier chapitre de l’ouvrage. Plus technique, il donne un bon aperçu des possibilités pour se passer des animaux dans des procédures expérimentales. Il permet de constater que les pratiques évoluent par endroit, que des programmes publics et des décisions privées sont mis en place pour progresser vers une réduction du nombre d’animaux dans la recherche. Le problème réside dans les moyens octroyés pour y parvenir, l’harmonisation globale et le manque de volonté parfois. L’auteur aborde à juste titre l’aspect économique de l’expérimentation animale : si celle-ci est coûteuse, des entreprises en dépendent néanmoins et sont prêtes à tout pour qu’elle persiste (fournisseurs d’animaux, sociétés de recherche préclinique sous contrat…).
En conclusion, Roland Cash liste des pistes de solutions qui permettraient, selon lui, de progresser vers une recherche sans animaux, pour parvenir, à terme, à s’en passer totalement. La vision abolitionniste de l’expérimentation animale prônée par l’auteur ne l’empêche pas de faire preuve de pragmatisme : on ne peut pas se passer immédiatement de l’ensemble des animaux dans les expériences, mais de nombreuses solutions permettent de se fixer une échéance pour y parvenir progressivement. Il s’agit d’ailleurs de l’objectif fixé par la directive européenne[1].
L’expérimentation animale en question répond aux attentes du lecteur en terme d’analyse critique du sujet sous les angles éthique et scientifique. Seuls sujets complexes sur lesquels l’auteur ne s’aventure pas vraiment : l’utilisation expérimentale des animaux à visée éthologique et de médecine vétérinaire. Ces domaines de recherche ont pour but d’améliorer non pas la condition humaine, mais la condition animale. L’acceptabilité morale de ces expérimentations méritent d’être questionnée. Du reste, l’essai de Roland Cash permet de comprendre l’essentiel des rouages de l’expérimentation animale, des freins à son arrêt et des solutions à la portée des pouvoirs publics et des acteurs de la recherche pour lever une bonne partie de ces freins.
Nikita Bachelard
[1] Considérant 10 : « […] la présente directive représente une étape importante vers la réalisation de l’objectif final que constitue le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique. […] ». Retour.