Soumises à la pression de l’activité humaine, les aires marines protégées n’apportent pas les bénéfices de protection souhaités pour les cétacés.
Les aires marines protégées en France métropolitaine assurent-elles une protection suffisante pour les cétacés ?
Lors du One Planet Summit en janvier 2021, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé l’ambition, avec 50 autres pays, de protéger 30 % des espaces maritimes et terrestres mondiaux en 2030.
De nombreux cétacés sont ainsi retrouvés échoués ou au bord des côtes à cause de l’activité humaine croissante : pêche, navigation, tourisme maritime… Selon l’observatoire Pelagis à La Rochelle, ce sont 1200 dauphins qui se sont échoués sur les plages en 2020, sur une estimation de 10 000 qui sont accidentellement pris dans les filets de pêche et rejetés en mer.
Ainsi, les organisations Sea Shepherd et France Nature Environnement ont accusé le gouvernement de négliger la protection des dauphins contre les captures accidentelles liées à la pêche. Dans ce contexte, deux recours ont été déposés devant le Conseil d’État le 6 décembre 2021.
Une étude est actuellement en cours au sein du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (sous la tutelle du gouvernement français) pour évaluer les risques de collision entre cétacés et bateaux, à la demande de quatre pays européens : la France, l’Italie, Monaco et l’Espagne.
Aire marines et sanctuaires en France métropolitaine
La France métropolitaine compte cinq parcs naturels marins (à ne pas confondre avec les enclos marins) : les parcs naturels marins d’Iroise (Bretagne), du Golfe du Lion (Occitanie), des estuaires picards et de la mer d’Opale (Hauts-de-France), du bassin d’Arcachon ainsi que de l’estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis. Elle compte également une aire marine protégée : le sanctuaire Pelagos, régi par un accord passé entre la France, l’Italie et Monaco en 1999.
Pour chaque aire marine protégée, différents niveaux de protection, déterminant les restrictions ou interdictions des activités humaines dans la zone, existent : protection minimale, protection faible, protection haute, protection intégrale.
Législations récentes en faveur de la protection des cétacés dans les aires et sanctuaires marins
Le renforcement de ces aires protégées pour la préservation des cétacés fait partie du Plan d’actions pour la protection des cétacés mis en place par le gouvernement français. Il suit notamment les décisions établies lors de la Conférence de Nagoya en 2010 (création de 10 % des aires marines protégées d’ici 2020) et du Conseil de la Défense du 23 mai 2019, qui prévoit un objectif de 30 % des aires protégées d’ici 2022.
D’autres mesures ont été appliquées en France en faveur de la protection des cétacés dans les aires marines protégées. En 2018, des mesures ont été instaurées pour la biodiversité marine dans le cadre des programmes de mesures de la Directive cadre Stratégie pour le milieu marin. La même année a commencé la phase finale du réseau Natura 2000, prévue pour être achevée en 2022, pour la préservation du Grand dauphin. L’harmonisation des outils de gestion des aires marines protégées ainsi que la promotion des aires marines éducatives dans la charte des communes impliquées dans le sanctuaire Pelagos ont commencé dès 2019. Enfin, la Stratégie nationale 2020-2030 pour les aires marines protégées incluant la protection des cétacées a été adoptée en 2020.
Malgré la mise en place de l’ensemble de ces dispositions, des dysfonctionnements persistent, empêchant le dispositif d’être pleinement efficace.
Dysfonctionnements des systèmes existants
Le premier volet de ce dysfonctionnement est la taille des aires marines protégées. En effet, ces aires peuvent recouvrir l’ensemble d’une zone économique exclusive (ZEE) d’une façade maritime. Toutefois, il est difficile d’imaginer que l’ensemble d’une ZEE dispose d’une protection haute ou intégrale qui interdit toute activité humaine. Ces zones font donc bien souvent l’objet d’une protection minimale ou faible, afin de permettre une continuité des activités qui sont pourtant susceptibles de menacer la biodiversité, y compris les cétacés.
Découle alors une deuxième problématique relative à ces protections. En effet, selon une étude de Joachim Claudet, écologue et directeur de recherche au CNRS au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe), les protections minimales et faibles dans les aires marines protégées n’apportent aucun bénéfice puisqu’elles sont soumises à la pression de l’activité humaine (pêche…).
Pour illustrer ces propos, en France métropolitaine, 44,5 % des eaux sont des aires marines protégées. Seulement 0,03 % sont en protection haute ou intégrale. Par exemple, en Méditerranée, presque 60 % des eaux françaises ont un statut d’aires marines protégées (AMP), mais seul 0,1 % bénéficie d’une protection intégrale ou haute. Sur la façade Atlantique-Manche-Mer du Nord, presque 40 % de la ZEE est en AMP, mais moins de 0,01 % présente ce niveau de protection.
Nous pouvons donc nous demander s’il est pertinent de qualifier ces ZEE d’aires marines protégées puisque les activités humaines peuvent continuer à être exercées de manière intégrale ou légèrement réduite. Les bénéfices sur la préservation des cétacés s’en trouvent inévitablement réduits.
Quelles améliorations ?
Une aire marine protégée doit, selon l’Union internationale pour la conversation de la nature (UICN), à la fois protéger et conserver « la diversité biologique et ses ressources naturelles et culturelles associé ». Cette définition s’applique également pour les cétacés. Sans protection haute ni intégrale, la protection et la conservation de ces espèces s’avèrent difficiles puisque la pêche, par exemple, peut avoir des conséquences directes sur ces animaux (blessures par les chalutiers, prises dans les filets…) ou indirectes (la surpêche ou la diminution tangible des ressources halieutiques bousculent la chaîne alimentaire de ces espèces qui se retrouvent de fait en danger).
Il est donc nécessaire de maintenir ces aires ou sanctuaires en protection haute ou intégrale, afin de limiter toute intervention humaine dans les activités de ces animaux. Certaines d’entre elles recouvrent l’ensemble d’une ZEE et il serait difficilement envisageable de mettre l’ensemble de ce territoire sous protection intégrale. Il serait peut-être nécessaire de réduire la taille des aires marines protégées, mais de leur accorder un niveau d’effectivité maximal dans la protection et la conservation des cétacés.
Il est donc impératif de repenser l’existant avant de pouvoir créer de nouvelles aires marines ou sanctuaires, au risque de ne pas pouvoir respecter la promesse initiale de la définition de l’UICN sur laquelle se fonde le terme d’« aires marines protégées ». Cette expérience pourra servir à terme pour la création de nouvelles aires, plus petites, mais efficaces.
Angélique Collette